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qu’avec tout cela Isocrate, toujours de la meilleure foi du monde, nous parle de sa modestie. Là s’étale encore avec complaisance l’idée qu’il se fait de son importance, ainsi qu’une disposition chagrine dont on trouverait de bonne heure la trace dans ses autres écrits. Cette apologie ou plutôt cette glorification de sa personne et de son rôle, à laquelle Isocrate revient dans l’exorde du Panathénaïque, il l’avait déjà présentée, une quinzaine d’années auparavant, avec plus de force et de talent, dans le discours sur l’Antidosis ou « l’échange » (354). Là, se supposant traduit devant un jury athénien et en présence d’accusateurs acharnés contre lui, il avait répondu, en termes qui ont souvent leur énergie et leur noblesse, aux reproches que lui adressaient ses détracteurs ; pour mieux faire ressortir l’unité de sa vie, le caractère patriotique et moral de son enseignement, il avait cité et reproduit dans cette composition de nombreux passages de ses discours antérieurs. Si nous n’avons pas insisté sur ce curieux ouvrage, c’est qu’il a été, ici même, pour un de nos maîtres, M. Havet, l’occasion d’une remarquable étude que les lecteurs de la Revue n’ont pas encore eu le temps d’oublier[1]

On sait fort peu de chose sur ces dernières années d’Isocrate en dehors de ce qu’il nous apprend lui-même de son rôle public et de son état d’esprit. Son aisance, quoi qu’il en dise, était presque de la richesse. Bien qu’il n’y eût rien en Grèce qui ressemblât à ce que nous appelons la propriété littéraire, ses discours ne lui avaient pas moins rapporté que ses honoraires de professeur. On lui payait très bien des éloges dont on tirait vanité, des conseils que l’on était toujours libre de ne pas suivre. Pour le seul éloge d’Évagoras, Nicoclès lui envoya 20 talens, plus de 110,000 francs. Aussi Isocrate fut-il désigné trois fois pour la triérarchie ou l’équipement d’un vaisseau de guerre, charge qui n’atteignait à Athènes que les citoyens les plus opulens. Deux fois, raconte-t-on, il réussit à décliner ce fardeau ; la troisième fois, il ne chercha plus à s’y soustraire et fournit largement aux dépenses qu’il imposait. Déjà vieux, il

  1. . L’Art et la Prédication d’Isocrate, 15 décembre 1858. Nous n’aurions pas même osé toucher à Isocrate après M. Havet, si le but que nous nous proposions d’atteindre n’eût été différent du sien. Ce que nous voulions faire, c’était raconter la vie d’Isocrate, le replacer dans son cadre, esquisser à propos de lui un chapitre de l’histoire d’Athènes. Sur l’art d’Isocrate, sur le caractère de son éloquence et de son style, sur son influence et. ses imitateurs, nous n’aurions rien pu ni ajouter ni changer à ce que M. Havet a si bien dit ; son étude est un chef-d’œuvre de finesse et de précision. On la trouvera reproduite, avec d’importantes additions, dans le beau volume sorti des presses de l’imprimerie impériale, qui a pour titre le Discours d’Isocrate sur lui-même, intitulé sur l’Antidosis, traduit en français pour la première fois par Auguste Carte-lier, revu et publié avec le texte, une introduction et des notes par Ernest Havet, in-8o 1862.