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législateurs, — deuxièmement, si on n’a pas un principe supérieur à mettre à la place.

C’est cette supériorité devant la justice qu’invoquent les nouveaux partisans du système progressif. Tout le monde sait à quoi ils tendent. Ils veulent que, celui qui a dix payant un à l’impôt, celui qui a cent paye non pas seulement dix fois, mais onze, douze, treize fois plus ou même davantage, élevant la progression à mesure que les fortunes augmentent. Or comment essaient-ils d’établir cette nouvelle justice (car il s’agit en ce moment de justice stricte, et non d’humanité, non de sacrifices faits spontanément ou librement consentis) ? Ils prétendent d’abord que l’impôt proportionnel atteint progressivement la misère. On aurait fort à faire pour le démontrer en dehors de quelques exemples. Ne pourrait-on même soutenir que l’impôt proportionnel frappe progressivement la richesse, en ce sens qu’une richesse décuple coûte rarement à l’état dix fois plus de frais ? Les frais de garde d’une propriété de 100 hectares sont certainement inférieurs à ce qu’ils sont pour cent propriétés de 4 hectare. Il ne serait donc pas impossible de rétorquer l’argument ; mais, quand il arriverait qu’en certains cas les petits revenus fussent progressivement frappés, quelle raison pour introduire une règle arbitraire ! Il est absurde, pour corriger une injustice involontaire, de vouloir en faire pénétrer une toute gratuite dans le système des impôts. Comment être sûr qu’on ne dépassera pas le but ? Comment se flatter d’équilibrer avec la moindre exactitude les prétendues atteintes que l’impôt proportionnel porterait au pauvre par les atteintes trop réelles dirigées contre le riche ? Je défie qu’une règle quelconque préside à cette opération « de compensation, » selon le mot par lequel un des orateurs de Lausanne prétendait définir l’impôt progressif, appelé par un autre un a admirable instrument de précision. » Singulière précision en vérité ! C’est cela même qui manque, et rien autant que cela. C’est pis ou ce peut être pis que la peine du talion. Il y a heureusement d’autres moyens usités, moins dangereux et moins trompeurs, de soulager les classes pauvres. Dans notre système d’impôts si violemment attaqué, est-ce qu’il n’arrive pas que les gens aisés se surtaxent en plus d’un cas ? Que signifie l’impôt sur le tabac, sur la poudre de chasse, et sur d’autres jouissances de luxe ? Et n’est-ce pas l’impôt lui-même qui pourvoit aux frais de tant d’établissemens secourables ? Ne fait-on rien pour l’hygiène, rien pour l’instruction, rien pour la maladie des citoyens pauvres ? Allons plus loin ; n’y a-t-il pas une quantité d’avantages créés par ce capital qu’on incrimine, avantages dont les masses populaires jouissent à titre gratuit ? Combien d’entreprises dont les résultats profitent à tous, et que le capital a prises seul à