Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J.-B. Say n’avait pas attendu les critiques du radicalisme pour écrire cette phrase, approuvée de tous les amis de la justice et de l’humanité : « 30 francs qui sont une taxe d’un dixième sur un tonneau de 300 francs sont une taxe de 300 francs pour un tonneau de 10 francs. » Si peu généraux que soient de pareils faits, c’est un droit, un devoir même de les signaler, non pour aigrir et soulever les populations, mais pour porter remède au mal. Le reproche d’être antipopulaire fait à l’impôt indirect parce qu’il renchérit le prix des denrées n’est pas sans force. Est-il toutefois beaucoup d’impôts qui y échappent ? Le mérite-t-il lui-même dans la mesuré où on le dit ? Une discussion approfondie, pour la plupart des cas de grande consommation populaire, vin, sel, pain, viande même, a établi ce qu’il y a d’énorme exagération dans ce grief. Les cas sont nombreux où de tels impôts, grâce à la loi des grands nombres, peuvent être très lucratifs et très peu pesans. On a dit, et c’est un point auquel l’auteur du livre sur la Propriété attache une importance considérable, que l’ouvrier fait rembourser dans son salaire l’avance qu’il a faite de ces impôts. Ne va-t-on pas trop loin en établissant comme une loi ce qui n’est qu’une tendance, laquelle se réalise quand le travail est fort demandé, mais qui ne peut se réaliser qu’en partie ou même point du tout, si la demande du travail reste au-dessous de l’offre ? Le zèle en faveur des impôts indirects ne saurait aller jusqu’à soutenir que leur plus ou moins d’élévation ne fait rien au peuple. On n’arriverait par là qu’à ériger l’indifférence en principe. Il n’y a point enfin de raisonnement qui puisse justifier les impôts, et moins encore les gros impôts, établis sur les matières premières. Le principe qu’on invoque de la diffusion de l’impôt et la circonstance qu’il ne poserait que faiblement sur chaque objet consommable en sont des excuses fort insuffisantes. C’est frapper la production, cette mesure la plus certaine du bien-être populaire, et restreindre avec elle la puissance d’exportation ; c’est atteindre dès lors l’industrie et le commerce, et par suite aussi porter un préjudice au travail et aux salaires. La consommation se resserre au préjudice de tous, et dans cette condition l’impôt lui-même s’expose à plus d’un mécompte. Ce sont là de ces vérités acquises qu’il ne faut oublier en aucun temps, et moins encore, quoi qu’on en dise, dans les temps de crise comme ceux que nous traversons. Je suis loin en revanche de dédaigner l’argument dont se servent les défenseurs des contributions indirectes au point de vue de leurs effets sur les masses populaires, lorsqu’ils avancent que, les consommations se faisant au fur et à mesure des besoins, ces taxes se font moins sentir, et le peuple paie sans s’en apercevoir. L’avantage n’est pas à mépriser pour les petits revenus. On a comparé cela à une