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sur ce qu’ils dépensent. » Combien de conséquences à tirer de ces observations ! quel défaut de justice et de proportionnalité, si on frappe d’un double impôt une même somme ! quelle prime à la dissipation ! quelle atteinte à cette formation du capital si indispensable au bien-être populaire ! Et si on veut exempter cette partie épargnée, à quelles difficultés on s’expose ! Voyez où vous allez lorsqu’un pareil impôt devient unique, ou seulement si on cherche à lui faire prendre trop d’extension.

Qu’est-ce donc, quand il s’agit d’avoir égard, comme cela semble équitable, au nombre des enfans, aux charges de famille ? N’arrivera-t-on pas à se perdre dans tous ces calculs ? C’est à cette impuissance qu’est venue échouer, après 1848, la loi bavaroise qui exemptait les célibataires ayant moins de 250 florins de revenu, les familles ayant trois enfans au plus avec un revenu inférieur à 400 florins, les familles ayant plus de trois enfans, si elles avaient moins de 500 florins de rente. Les revenus imposables étaient d’ailleurs distribués en vingt-cinq classes, dont la première (250 florins de revenu) payait 2 pour 1,000, la quinzième (10,000 florins de revenu) 1 pour 100, et la dernière (75,000 florins de revenu et au-dessus) 2 pour 100. Le gouvernement avait compté tirer de l’impôt du revenu (einkommensteuer) 2,400,000 florins ; il n’en retira que 486,912. On se heurta à des difficultés qui ont fait modifier la loi profondément. Cette pente des exemptions et des soulagemens, difficile à éviter avec l’impôt partiel pour les situations dites intéressantes, le serait absolument avec l’impôt unique. Fatalement on en vient à surtaxer les uns pour créer aux autres des immunités. La mesure des exemptions pour de vastes catégories a été adoptée en Angleterre, même avec l’income-tax partiellement établi. Il en a été ainsi dans l’antiquité, ainsi dans les républiques italiennes, ainsi dans les Pays-Bas, ainsi partout. Plus s’opère la transformation en taxe unique ou prédominante, plus s’impose cette double nécessité inévitable : le système de la progression avec ce qu’il porte en lui d’injustices et de dangers, surtout dans un pays sujet aux révolutions, et les exemptions en bloc pour des classes nombreuses ou des allégemens mesurés plus ou moins équitablement aux situations individuelles.

Voilà pourquoi, sous le régime des budgets élevés, la théorie de l’impôt unique ou même prépondérant sur le revenu est destinée à rester dans les livres ou dans les discours des tribuns. Tout un peuple ne se mettra jamais un pareil fardeau sur les épaules. Vauban lui-même, dont l’impôt unique, sur le revenu invoque la paternité glorieuse, laissait subsister la gabelle ou impôt sur le sel profondément réformé, les douanes et d’autres impôts secondaires,