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peut être que la Russie. — Ainsi raisonne le général Fadéef. Il dit vrai quand il montre les difficultés que rencontrerait la constitution d’une confédération danubienne ; mais il ne voit pas que la Russie, pour devenir un centre d’attraction, devrait représenter non-seulement le principe slave et la foi orthodoxe, mais aussi la liberté. Le principe des nationalités est une force, mais l’amour de la liberté en est une autre. Tomber sous la main du despotisme oriental que les Russes supportent ne séduirait guère ni les Croates, ni les Tchèques, ni les Serbes. Mieux vaut encore vivre libres sous un Habsbourg allemand qu’asservis sous un prince moscovite. Toutes ces tribus slaves, pour conquérir leur autonomie, n’ont pas besoin de l’intervention russe. Si on ne met pas violemment obstacle au développement des populations chrétiennes du Danube et du Balkan, c’est la Serbie qui est appelée à jouer dans la péninsule thrace le même rôle que le Piémont a si heureusement rempli dans la péninsule italique. Les Serbes ont déployé un remarquable esprit de conduite. Leur pays est bien administré ; l’ordre, la sécurité, la liberté, y règnent ; leurs finances sont en bon ordre ; la culture intellectuelle et l’exploitation des richesses naturelles font de grands progrès. Ils s’entendent déjà avec les Monténégrins. La Bosnie, la Bulgarie, à mesure qu’elles s’éveillent, tournent leurs yeux vers Belgrade. Toutes ces populations parlent des dialectes presque identiques. Leur intérêt évident est donc de former un jour une fédération libre, et non de se laisser englober dans le despotisme moscovite. Les Russes, qui sont encore soumis à un régime que supportent à peine les peuples les plus arriérés de l’Asie, ne peuvent avoir la prétention d’éclairer et de guider les Slaves occidentaux, qui sont bien plus avancés qu’eux. Comment supposer que les Serbes, par exemple, voudraient échanger la fière liberté dont ils jouissent contre cette tyrannie sourde et corruptrice et cette bureaucratie omnipotente qui pèsent comme un linceul de plomb sur l’empire des tsars ?

Le général Fadéef aborde aussi, sans aucune réticence, la question polonaise, et il expose l’immense danger qui en résulte pour la Russie. « Tant que le triomphe du panslavisme n’aura pas écarté ce péril, il est aussi impossible à la Russie de régler la question d’Orient à son profit que d’opérer la quadrature du cercle. C’est une folie rien que d’y songer. » L’affirmation peut paraître bien tranchante ; pourtant elle est juste. En effet, deux puissances s’intéressaient surtout à la question polonaise : la France et l’Autriche. La France la prenait de temps à autre en main, elle envoyait des notes comminatoires ou prononçait des discours éloquens ; mais elle était trop loin. Elle ne s’intéressait à la Pologne que par l’effet d’un sentiment qu’entretenait le souvenir d’une grande iniquité commise par