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dans la presse russophile[1], excitent nécessairement les appréhensions et les colères de l’Allemagne. La Russie a pu traiter la Pologne sans merci : qui donc l’aurait défendue ? Mais faire passer sous le joug slave les Germains de la Baltique ou de la Bohême soulèverait d’autres clameurs et rencontrerait d’autres résistances ; qu’on se rappelle l’affaire, des duchés de l’Elbe. Jusqu’à ce jour, la Prusse s’est tue ; elle avait besoin de la Russie, et les deux souverains s’entendent trop bien pour qu’un différend puisse s’élever entre eux à propos des provinces baltiques ; mais les persécutions moscovites, si elles continuent, ne manqueront pas d’éveiller les susceptibilités de la nation allemande, qui voudra délivrer ses frères de la Livonie et de la Courlande comme ceux du Slesvig et du Holstein. Des écrits dans le genre de celui que M. E. Kattner adressait naguère à la confédération du nord, Preussen’s Beruf im Osten, sommeront l’Allemagne de délivrer ses enfans opprimés. Jamais la race germanique ne permettra que la Bohême devienne un fief moscovite. Si donc les idées des panslaves russes, déjà triomphantes en Pologne et essayées le long de la Baltique, devaient être un jour complètement et ouvertement adoptées à Saint-Pétersbourg, la Russie marcherait vers un conflit avec la race germanique. Malgré les alliances dynastiques, la Prusse se lèverait, car l’empereur d’Allemagne ne pourrait, sous peine de déchéance, trahir les intérêts allemands. Déjà Frédéric II traçait d’un mot le rôle de la Prusse. Tandis que Joseph II s’alliait aveuglément avec Catherine pour démembrer la Turquie, Frédéric disait : Nous ne pouvons favoriser les desseins de la Russie ; le lendemain du jour où elle serait à Constantinople, elle entrerait à Kœnigsberg. — Dans la lutte contre l’ambition russe, l’Autriche et la Prusse auraient pour alliée sûre et déterminée l’Angleterre, car c’est en Pologne et sur les bords du Dnieper qu’elle se verrait obligée d’arrêter la marche des Russes vers l’Inde. J’admire la perspicacité du général Fadéef, qui, dès 1869, annonçait à son pays le danger dont le menaçait la triple alliance austro-prusso-anglaise. « Tant, disait-il, que dure la querelle entre la France et la Prusse, la Russie aura quelque liberté de mouvement ; mais, quand ce différend sera apaisé ou réglé les armes à la main, alors la Russie devra enlever d’assaut la moindre difficulté, car suivant toute probabilité elle aura devant elle la triple alliance anglo-austro-prussienne, bien plus dangereuse pour nous que celle de la France et de l’Angleterre. Les sentimens personnels du roi Guillaume y ont seuls mis obstacle jusqu’à présent. » En bon patriote qui ne veut pas tromper son pays, le général prend soin

  1. Ces idées ne sont pas exprimées seulement dans des livres et des brochures : elles font le thème habituel des journaux. Récemment encore le principal journal de Kief, le Parowog, les développait avec complaisance.