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tout à fait ignorans ne forment pas un bon élément pour les armées modernes. Étant aussi inertes que les serfs du moyen âge, ils résisteraient mal à l’invasion et même à la domination de l’étranger. Des classes moyennes peu instruites ne peuvent fournir le corps d’officiers qu’exige la stratégie actuelle. Une nation où la vie intellectuelle est limitée aux sphères les plus élevées, et dont toute la force est concentrée aux mains de l’état, est incapable de résister à un pays où tous les citoyens, animés d’une passion individuelle et poussés par la vue claire de leur intérêt, se précipitent à l’appel de la patrie. Une ou deux grandes batailles pourraient décider du sort de l’empire des tsars. Les Slaves, qui ne sont pas même unis, ne semblent pas encore assez forts pour affronter l’alliance des tribus germaniques et Scandinaves.

Le soir du 1er septembre de l’an passé, au moment où le drapeau blanc apparut sur les murs de Sedan, un général américain et le correspondant d’un journal anglais s’approchèrent de M. de Bismarck pour le féliciter du succès de la journée. Ils avaient soif : on leur apporta de la bière, et avec la boisson d’Odin et des Valkyries ils burent à l’alliance indissoluble des trois grandes branches de la famille germanique. Est-ce un pronostic de l’avenir, et les alliances seront-elles désormais dictées par l’identité de la race ? Ce qui est certain en tout cas, et les Russes prévoyans le disent tout haut, c’est que, si la Russie continue à marcher en avant sous le drapeau du panslavisme persécuteur et conquérant, elle concentrera devant elle la résistance acharnée du monde germanique conduit à l’assaut par la Prusse et l’Angleterre.

Quelles sont les forces réelles dont dispose la Russie pour résister à une pareille coalition ? Après la guerre de Crimée, elle n’a songé qu’à se refaire en introduisant une stricte économie dans son établissement militaire et en réduisant l’effectif. Il s’agissait avant tout de constituer une nation qui pût déployer plus de ressort qu’en 1854. C’est dans ce dessein que le servage a été aboli. En même temps un immense réseau de chemins de fer a été construit, surtout dans des vues stratégiques, et afin que les armées ne se fondent plus en traversant les steppes. Peu à peu l’esprit national s’est réveillé. Les Russes sont sortis de l’abattement où les avait plongés leur impuissance si inattendue de 1854. Ce n’est plus l’empereur