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aujourd’hui qui rêve, dans le mystère du cabinet, aux grandes destinées de la « sainte Russie ; » c’est la nation elle-même qui en veut l’accomplissement. Depuis l’insurrection polonaise de 1863, l’idée moscovite est entrée, armée en guerre, dans la politique pratique, et le gouvernement n’a pas cessé un moment d’augmenter et d’améliorer ses forces militaires.

On varie sur l’effectif dont la Russie pourrait disposer maintenant. Il y a deux ans, le ministre de la guerre d’Autriche, qui a le plus grand intérêt à être bien informé, donnait les chiffres suivans dans un document parlementaire : armée active, y compris celle du Caucase, 827,350 hommes ; troupes locales, 410,427 ; irréguliers, 229,223 ; total, 1,467,000. Il est vrai que le baron von Kuhn, qui demandait des fonds pour son budget, devait être porté à grossir le relevé des forces étrangères. Un écrivain anglais de la Revue d’Edimburg, qui paraît avoir obtenu des renseignemens très précis, ne porte le total de l’armée russe active qu’à 688,000 hommes ainsi répartis : infanterie de ligne, 492,000 ; fusiliers, 20,000 ; cavalerie, 33,000 ; artillerie, 28,000 ; génie, 11,500 ; et le reste irréguliers et armée du Caucase. Le nombre des canons de campagne serait de 1,304. En y ajoutant les réserves, les états-majors, le commissariat, on arriverait à un grand total d’environ 1,200,000 hommes, ce qui permettrait de jeter à bref délai sur le territoire ennemi une armée de 400,000 combattans. Cette force serait peut-être suffisante pour attaquer l’Autriche seule ; elle ne pourrait tenir tête aux forces combinées de l’Autriche et de l’Allemagne. Les militaires russes ne l’ignorent pas, et ils cherchent le moyen de porter leur effectif au niveau voulu sans ruiner les finances de l’empire, déjà très embarrassées. D’après leur calcul, rien que pour garder les provinces exposées aux coups de l’ennemi, il faudrait trente-quatre divisions ou 400,000 hommes, et en outre une armée active de 900,000 combattans sans compter les dépôts. Sur le papier, l’empire dispose déjà de forces supérieures ; mais il s’agit d’avoir de bons soldats, bien équipés et bien exercés, et non des contingens constituant une foule armée. Pour obtenir cette force, considérée comme indispensable à la sécurité de la Russie, deux systèmes étaient en présence : celui du général Fadéef, qui voulait tirer parti de l’opoltschenie ou milice, qui existe déjà et dont on ferait de bonnes réserves pour la défense, et celui du général Miliutine, ministre de la guerre, qui voulait tout simplement adopter en bloc l’organisation prussienne. C’est, comme on le sait, le général Miliutine qui l’a emporté, et le tsar a décrété le service obligatoire pour tous, sans remplacement et sans autre titre d’exemption que l’incapacité démontrée. C’est une mesure que tous les états devront adopter. Si on l’applique sérieusement en Russie, elle y amènera toute une