Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révolution, car l’ancien serf étant appelé à servir à côté de son seigneur ne tardera pas à devenir un citoyen. La durée du service est fixée à douze ans avec trois ou quatre ans de présence, mais « aucun homme ne sera renvoyé dans ses foyers, » son instruction fût-elle complète, avant de savoir lire et écrire. On estime que, lorsque le nouveau régime aura porté ses fruits, il produira 3 millions de combattans.

Seulement, on le voit, tout est à réorganiser, et en Russie les résultats sont toujours infiniment au-dessous de ce qu’on espère, parce que l’argent fait défaut, et qu’il est dévoré en concussions de toute espèce. C’est ainsi que le capitaine Brackenburg affirme, dans son livre récent sur les armées européennes, que les troupes russes sont loin d’avoir toutes le nouveau fusil. On avait pris d’abord le système Carl, puis le système Berdan. Le ministre de la guerre, comte Miliutine, et le grand-duc héritier, défendaient avec acharnement, le premier un fusil américain, l’autre un fusil russe. Les bureaux annonçaient qu’on transformait par jour des milliers d’armes ; mais, on ne sait par quel maléfice, elles n’arrivaient pas aux mains des troupes. Mêmes tâtonnemens, même insuffisance pour l’artillerie, dont le capitaine Brackenburg fait connaître l’armement très en détail. D’après les observateurs les plus compétens, l’infanterie a fait beaucoup de progrès. Les hommes ne sont plus comme autrefois de simples machines. Ils se sont initiés à la tactique nouvelle ; ils sont mieux nourris, plus contens, et « l’idée nationale » commence à faire battre leurs cœurs. Ils marchent admirablement, et on leur impose les plus durs exercices. Les officiers des armes spéciales sont très instruits ; mais ceux de la ligne sont tout à fait au-dessous de ce qu’exige l’art militaire actuel. On se plaint qu’ils manquent de discipline ; on affirme que les idées ultra-démocratiques les envahissent. Les sous-officiers sont à peine supérieurs en intelligence aux simples soldats. Sauf les cosaques, excellens comme éclaireurs, la cavalerie ne peut se comparer à celle de l’Allemagne et de l’Autriche ; elle serait incapable de remplir la mission de rideau d’avant-garde à laquelle la stratégie moderne semble la destiner.

Ce qui est le plus avancé, c’est la construction des places fortes et celle du réseau stratégique des chemins de fer. Kertch et Kief au sud, Sweaborg et Cronstadt au nord, sont bien fortifiés. En Pologne on a élevé un véritable quadrilatère formé des forteresses de Varsovie, Zamosc, Ivangorod, Brzesc-Rilewski et Modlin. Dès 1852, le baron Haxthausen, qui connaissait si bien la Russie, était épouvanté en voyant ce bastion de la Pologne, si fortement armé, s’avancer jusqu’au cœur des. pays germaniques. Depuis lors, sous la direction de Todleben, on fait les travaux les mieux entendus pour transformer