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d’ailleurs pour tout esprit doué seulement d’une dose moyenne de pénétration que ces principes, avoués ou non, doivent de toute nécessité composer la doctrine ésotérique de la fameuse association dont l’existence a été révélée à la France d’une manière si lugubre ?

Au fond, les deux démocraties parlent le même langage et aboutissent aux mêmes conclusions, la prédominance absolue des intérêts matériels. Il est un fait qui s’impose à l’intelligence de tous avec une clarté tellement impérieuse qu’il en prend pour ainsi dire les caractères d’une loi : c’est que, sous le régime inauguré par la révolution, la question économique prime toutes les autres. C’est là le fait vital, on peut dire unique, qui a l’honneur de ses soucis, le fait dont elle attend la transformation du monde. Il est merveilleux de voir avec quelle rapidité sa philosophie s’est dégagée des doctrines négatives, mais vastes et complexes, qui l’avaient engendrée, pour se réduire à un simple examen des conditions économiques de la société. Cela commençait de très bonne heure, le lendemain même du jour où la révolution eut échappé à ses longues convulsions et aux guerres incessantes qui en furent la suite. Jusqu’alors, elle n’avait pas eu le loisir de se nommer de son vrai nom ; mais, dès qu’elle eut une heure pour respirer en paix et se reconnaître elle-même, elle fit hautement les aveux que voici. « La nouvelle société subordonne la morale à l’intérêt, elle n’attend ses vertus que du bonheur matériel de ses membres, car la morale est une conséquence engendrée et non une source génératrice. Toutes les doctrines critiques, historiques, politiques, mystiques, auxquelles mon nom se trouve accolé ont servi à me pousser dans le monde, mais ne me représentent en aucune manière. Ce sont les doctrines de mes patrons, de mes parrains et de mes auxiliaires ; ce ne sont pas les miennes. Mettant donc de côté toute cette défroque du XVIIIe siècle, je me présente nue devant vous pour vous révéler en quoi consiste la nouveauté que j’apporte dans le monde. Tout ce que l’homme cherchait péniblement en lui-même, où il ne rencontrait que les rêves nés d’un effort fiévreux, tout ce qu’il établissait plus péniblement encore sur des abstractions sans réalité, tirées des suppositions arbitraires de son cerveau, je le demande hardiment au monde extérieur. Je charge la matière de nous apporter ces biens que l’âme était chargée de nous procurer, et qu’elle n’a jamais pu nous donner qu’avec parcimonie, obligée qu’elle était, la pauvre Arachné, de tout tirer de sa substance, pour ne dévider en fin de compte qu’une toile où nous trouvions notre tombeau. Je transpose sans vergogne l’ordre des notions établies et les noms acceptés des choses, et je vous dis : La vertu, c’est la santé, car la santé, c’est le parfait équilibre de notre être, et le vice n’est jamais qu’une perte d’équilibre ; — la morale, c’est la richesse ; — la religion, c’est le