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clés de la maison, pour employer l’expression de M. de Bismarck, restait entre nos mains. Sans la libre disposition de la voie ferrée, l’armée d’invasion ne pouvait recevoir rapidement ni vivres ni munitions. On comprend alors combien il importait aux généraux allemands de supprimer cet obstacle ; le temps pressait : à peine avaient-ils échoué par la force qu’ils essayèrent de négocier. Le 18 août, un parlementaire demanda le libre passage des troupes prussiennes sous les murs de la ville, et promit en échange qu’elles s’abstiendraient de tout acte d’hostilité. Cette convention, qui eût épargné à Toul les douleurs d’un siège aux dépens de la France, qui eût sacrifié l’intérêt de la défense nationale à l’intérêt particulier des habitans, fut rejetée sans hésitation par le commandant de place, assuré de répondre par son refus au sentiment public. Un convoi ennemi ayant tenté néanmoins de s’engager sur la voie ferrée pendant la nuit, on le reçut à coups de fusil, et l’on s’empara d’une voiture de vivres.

A dater de cette époque commence le blocus de la place, blocus qui ne met un terme ni au bombardement ni aux tentatives de négociation. Les Prussiens établissent, à la distance de 2,000 ou de 2,500 mètres du rempart, des postes de 30 ou de 40 hommes, assez rapprochés pour se donner la main ; ils les relient entre eux par de nombreuses vedettes, ils les relèvent, ils les soutiennent au besoin, en occupant tout autour de la cité, en arrière de leur première ligne, les villages de Fontenoy, de Bruley, de Pagney, d’Écrouves, de Chaudeney et de Gye. Leur but est d’isoler les habitans de Toul du reste de la France, de ne leur laisser aucun espoir d’être secourus, afin de les intimider plus facilement le jour où on les attaquera, ou de les séduire, si on le peut, par la perspective d’une capitulation avantageuse. La terreur et la ruse, voilà les deux armes de guerre dont les Allemands se servent, pendant toute la campagne, avec une habileté fort différente de la candeur naïve que l’ignorance française leur attribuait. Tantôt durs et menaçans, tantôt prodigues de promesses et d’offres séduisantes, au fond uniquement occupés de brusquer les choses et d’obtenir un succès rapide, ils emploient quelquefois dans la même journée, pour arriver à leurs fins, la diplomatie et le canon.

Le 23 août, par exemple, un nouveau parlementaire sommait la place de se rendre, et, sur le refus du commandant, l’artillerie prussienne mettait en batteries cinquante pièces de campagne. Comme à Strasbourg, comme partout, ce ne sont pas les remparts que l’ennemi attaque ; il dirige son feu sur la ville même, afin d’effrayer les habitans ; puis, quand beaucoup de maisons ont été atteintes, quand un vaste magasin brûle et que le moment psychologique paraît arrivé, le feu cesse tout à coup, les assiégeans arborent le