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encloua des canons. A qui persuadera-t-on que de telles entreprises n’aient pas été possibles autour de Metz et autour de Paris ?

La place de Verdun aurait tenu quelque temps encore après le bombardement, si la nouvelle de la capitulation de Metz n’eût rendu désormais tous les efforts inutiles. En quelques jours les Prussiens allaient accumuler sur les bords de la Meuse une artillerie écrasante, et en quelques heures, de tous les points élevés qu’ils occupaient, foudroyer la ville. Les habitans ne demandaient pas néanmoins qu’on renonçât à la lutte, ils étaient prêts à tous les sacrifices ; mais le général Guérin de Waldersbach voulut leur épargner des souffrances sans résultats, obtenir surtout, lorsqu’il en était temps encore, des conditions qu’on lui eût refusées sur les ruines de la place. Il capitula donc, le 7 novembre, devant 15,000 ennemis, 2,000 artilleurs et 140 pièces de gros calibre, mais en stipulant par une clause expresse, qui n’avait été acceptée ni à Toul ni à Strasbourg, que tout le matériel de guerre contenu dans la ville, les canons, les chevaux, les équipages de l’armée, les munitions, les approvisionnemens de toute espèce, seraient rendus à la France après la conclusion de la paix. Aujourd’hui encore nos pièces restent sur les remparts, nos fusils dans les arsenaux, nos poudres dans les magasins ; nous retrouverons après le départ de l’ennemi ce que la guerre ne nous avait enlevé que pour un temps. Ailleurs l’Allemagne a tout pris, emporté ce qui lui convenait, vendu ce qu’elle ne pouvait emporter, vidé les casernes et tous les établissemens militaires, arraché jusqu’aux serrures des portes, jusqu’aux ferremens des fenêtres, jusqu’aux anneaux scellés dans les murs.

Valait-il mieux prolonger la lutte et tout détruire avant de se rendre, afin de ne laisser à l’adversaire aucun butin ? Valait-il mieux tout sauver, ainsi que le fit le général Guérin de Waldersbach ? Les juges militaires en décideront ; à eux seuls de prononcer sur ce qu’exige le respect de la loi, sur ce que commande le devoir du soldat. On a simplement voulu rappeler ici la communauté d’efforts des habitans et de la garnison, l’énergie avec laquelle chacun s’est défendu, tant que les chefs ont jugé utile de continuer la défense, le dévoûment de la population, qui n’a refusé aucun sacrifice, qui était prête à en accepter de nouveaux, qui se résignait d’avance au plus terrible des bombardemens, à la ruine, à la mort, lorsque la capitulation fut signée. Au milieu des épreuves qu’elle traverse, la Lorraine conserve le droit de se dire qu’elle n’est point restée au-dessous de ce que la France attendait de son patriotisme, et que, si la fortune lui est aujourd’hui contraire, son courage, sa patience, sa dignité dans le malheur méritaient un meilleur sort.


A. MÉZIÈRES.