Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il avait accablé la monarchie déchue, — ayant fini apparemment, comme le Menteur de Corneille, par accorder à ses fables une crédulité fatalement communicative, — le rédacteur en chef du National avait témoigné à ses collègues le désir de prendre en main les deux administrations de la liste civile et du domaine privé. M. Marrast ne réclama pas en vain le bénéfice d’une spécialité trop bien établie, et, dès les derniers jours de février, il vint prendra possession de l’hôtel de l’intendance générale, armé d’une décision du gouvernement provisoire, qui ne fut cependant formulée en décret que le 2 mars suivant. Je fus immédiatement convié à une entrevue, place Vendôme, dans des termes courtois sans doute, mais qui ne laissaient place ni à un refus ni à un ajournement. D’ailleurs j’étais impatient moi-même de cet appel. J’avais hâte de me trouver en face des accusateurs de la veille, des vainqueurs sans combat du lendemain. C’était une pauvre lutte, mais enfin c’en était une que je voyais venir comme la seule consolation qui pût m’échoir en ce moment. J’étais tellement possédé de ces idées que je traversai sans y faire la moindre attention et sans regrets ces salons ornés par moi, où j’étais appelé comme un vaincu, peut-être comme un accusé. En effet, le fauteuil sur lequel M. Marrast me fit asseoir fut tout d’abord une sellette. Je devais connaître, suivant lui, tous les secrets de Louis-Philippe. Il venait me les demander au nom de l’état, au nom des intérêts mêmes de la famille d’Orléans, qui pourrait être rendue responsable des dissimulations dont on voudrait courir la chance, et enfin au nom de ma propre sûreté.

La menace à mon adresse fut reçue comme elle devait l’être. Pour le reste, ma réponse était facile, car M. Marrast n’avait rien à demander que le hasard d’une révolution soudaine et imprévue n’eût mis dès la première heure entre ses mains. Il n’est pas un document, un papier, un compte, qui ne fût en la possession du gouvernement. « Interrogez, lui dis-je, ces témoins irrécusables, et ils vous apprendront, sans pouvoir être démentis, que je n’ai rien à vous apprendre. Quant à l’imputation d’avoir accumulé des trésors au dehors, retenez bien ceci : le roi Louis-Philippe n’a jamais fait passer un centime à l’étranger. » Et à ce propos je me donnai la satisfaction de l’initier à un fait connu de bien peu de personnes, au seul secret que les papiers ne pouvaient révéler au gouvernement, parce que les documens qui le concernaient étaient en Angleterre, chez M. Coutts. « Vous le savez, lui dis-je, le duc d’Orléans, qui avait refusé de se rendre à Gand, en 1815, afin de ne pas se mettre à la suite des armées ennemies, avait prolongé son séjour à Twickenham jusqu’en 1817, pour ne pas être témoin des mesures violentes et réactionnaires qui suivirent les cent jours. À cette époque, il avait chez M. Coutts un capital de 150,000 francs