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vous prie instamment de ne pas vous méprendre sur le caractère de mes motifs. Ma résolution n’emprunte rien à la politique... Au point de vue du droit civil et du droit privé, de l’équité naturelle et de toutes les notions chrétiennes du juste et de l’injuste que je nourris dans mon âme depuis plus de cinquante ans comme jurisconsulte et comme magistrat, j’éprouve le besoin de me démettre de mes fonctions de procureur-général. »


Pour peindre d’un dernier trait le sentiment de répulsion qui accueillit les décrets de confiscation des biens d’Orléans, remarquons qu’il n’a pas été encore possible d’en découvrir le rédacteur. Honteux de son œuvre, l’écrivain s’est caché avec un soin si parfait qu’on n’a même pu faire sur son nom que de simples conjectures. N’y voyons donc, pour être juste, qu’un seul nom, et examinons ces décrets en eux-mêmes. Nous nous efforcerons de rendre cet examen aussi rapide que possible; cependant nous ne devons négliger ni la mention des principaux considérans, ni le résumé des réponses qui leur ont été opposées dans des documens qui font corps en quelque sorte avec les décrets du 22 janvier : d’une part, la protestation des exécuteurs testamentaires du roi Louis-Philippe[1], à laquelle j’ai eu l’honneur de concourir, et de l’autre la consultation délibérée par MM. de Vatimesnil, Berryer, O. Barrot, Dafaure et Paillet.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’hommage rendu au droit de propriété qui figure comme un frontispice en tête du décret, au moment même où son auteur va porter la main sur les biens d’une famille tout entière composée de huit branches[2]. Ne nous étonnons pas, car c’est là un des procédés les plus habituels du second empire, qui n’a presque jamais invoqué avec plus de ferveur les principes et les institutions de la liberté qu’au moment où il s’apprêtait à les pervertir ou à les mutiler; ne nous étonnons donc pas, je le répète, de voir le premier considérant rendre hommage au droit de la propriété, et passons. Le deuxième et le troisième considérant ont pour but de démontrer qu’il y avait lieu d’appliquer à Louis-Philippe, acceptant la couronne le 9 août, « la règle immuable du droit public et de la monarchie, » d’après laquelle « les biens particuliers du prince qui parvient au trône et ceux qu’il avait pendant son règne, à quelque titre que ce soit, sont de plein droit et à l’instant même unis au domaine de la nation, l’effet de cette union étant perpétuel et irrévocable. »

  1. MM. Dupin, Laplagne-Barris, duc de Montmorency, Scribe, Montalivet.
  2. Ces huit branches se composaient en 1852 du trente-deux personnes, au nombre desquelles dix-huit mineurs, dont six héritiers directs. Parmi ces derniers se trouvent aux droits du duc d’Orléans, leur père, le comte de Paris et le duc de Chartres, héritiers chacun pour un seizième.