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ruptions du président, M. Billault, toute la scène parlementaire a complètement disparu, et la France ne l’eût jamais connue sans le secours des presses de Bruxelles. Écoutons maintenant M. de Montalembert :


« Je repousse le budget parce qu’il renferme la sanction implicite du sénatus-consulte qui nous a dépouillés de tout contrôle sérieux sur les finances du pays, et celle des décrets du 22 janvier qui ont dépouillé la maison d’Orléans de son antique et légitime patrimoine. Je vote contre le budget de 1854 par deux raisons : parce que la lumière en est sortie, et parce que la confiscation y est entrée. Mais il y a de plus dans ce budget une question de conscience et de probité qui m’inspire des scrupules bien autrement profonds. Dans une assemblée de Français et d’honnêtes gens, ces scrupules ne demeureront pas sans écho, ou du moins ils rencontreront le silence du respect. L’an dernier, j’ai constaté devant vous que le budget de 1853 ne renfermait aucune sanction directe ni indirecte des décrets du 22 janvier, de ces décrets qui ont confisqué le patrimoine...

« M. BILLAULT. — On ne peut pas discuter les lois.

« M. DE MONTALEMBERT. — Monsieur le président, j’en appelle à votre délicatesse, à votre bonne renommée, à tout votre passé! vous ne voudrez pas, vous ne pouvez pas m’interrompre, et voici pourquoi. Quand le roi Louis-Philippe était sur son trône, quand nous vivions tous deux, vous et moi, à l’ombre de cette charte qu’il avait jurée et qu’il a si fidèlement gardée, vous étiez l’avocat de son fils le duc d’Aumale. Comment pourriez vous aujourd’hui me fermer la bouche, à moi, l’avocat désintéressé du roi mort et du prince exilé?

« Je continue donc. On veut nous associer à la responsabilité d’un acte qui a porté au principe de la propriété, de la propriété privée, entendez-le bien, la plus grave atteinte qu’elle ait reçue au XIXe siècle, et cela sans provocation aucune, sans aucun des prétextes que pouvaient fournir, il y a soixante ans, les haines révolutionnaires et les passions de la foule. On vous demande de consacrer par votre vote le rétablissement de la confiscation, et de la confiscation sous sa forme la plus odieuse, exercée non pas à titre de pénalité et par arrêt de justice, mais par un simple acte de dictature se substituant aux lois et aux tribunaux pour juger les questions de propriété entre le tien et le mien.

« N’oubliez pas d’ailleurs les considérans de l’acte, surtout celui où l’on pose en principe qu’après avoir été dépouillés de tout ce que l’on a jugé à propos de leur prendre, il restera encore aux princes de la famille d’Orléans de quoi soutenir leur rang à l’étranger, ce qui reproduit littéralement la doctrine socialiste que nous avons tant de fois entendue dans nos campagnes, et d’après laquelle, quand on aurait enlevé à M. de Montalembert ou à tout autre propriétaire la moitié ou les deux