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avait une tache de sang au milieu de la poitrine, ramenait sa pensée vers Paul. C’était la première fois que Mme de Linthal voyait la mort d’aussi près; elle songeait à cette mère et à ces deux enfans qui ne devaient plus revoir ce pauvre soldat dont l’agonie allait s’achever loin de son pays. — Demandez tout ce que vous voudrez, lui dit-elle, tout ce que vous désirerez sera fait.

— Y a-t-il un prêtre ici?

Et sur un signe affirmatif de la comtesse : — Faites-le venir, reprit-il, et qu’il ait la bonté de réciter les prières de l’église.

Le curé vint. Quelques officiers et le général, qui avait terminé l’interrogatoire des prisonniers, entrèrent dans la galerie au moment où les cérémonies suprêmes commençaient. Un grand silence se fit partout. Le hussard catholique avait les mains jointes sur le drap, ses lèvres remuaient, les femmes s’étaient agenouillées autour de lui. Quand vinrent les mots sacrés par lesquels l’église pardonne à ceux qui s’en vont dans le repentir, les hommes eux-mêmes baissèrent le front, et plusieurs firent le signe de la croix. Par la porte ouverte, on voyait les serviteurs de la maison qui s’étaient rangés à genoux et qui priaient aussi. De petits frissons passaient sur le visage du moribond.

— Croyez-vous qu’il en ait pour longtemps encore à vivre? demanda M. de Linthal au chirurgien.

— Il ne passera pas la nuit. Oh! le chasseur qui a tiré l’a bien visé.

Madeleine, que cette scène avait bouleversée, rencontra dans la pièce voisine le capitaine qu’elle avait vu le matin. Il l’arrêta. — Mademoiselle, dit-il, votre rameau de houx m’a porté bonheur. Pour éviter qu’il ne fût emporté par une branche au passage d’un taillis, j’ai baissé la tête, et voyez, une balle est venue qui a perçu mon képi; la tête droite, j’avais le front brisé.

Elle se reprocha de n’avoir rien donné à M. de Serviez.

Le hussard était enterré dans le cimetière du village et les prisonniers envoyés à Argent. Les émotions de la guerre chaque jour renouvelées faisaient qu’on n’y pensait plus. Il y avait eu des escarmouches nouvelles, moins que cela, des rencontres, des échanges de coups de feu; d’autres blessés étaient entrés dans la serre, ceux-ci Français, ceux-là Prussiens. La baronne affirmait qu’elle ne dormait plus. — Je meurs lentement, répétait-elle.

Un soir, le général entra dans le salon, où l’on avait l’habitude de se réunir avant le dîner. — Voulez-vous voir un petit bonhomme dont vous n’avez aucune idée? dit-il à Mme de Fleuriaux.

— Volontiers. De quelle espèce est-il?

— Je vous le dirai tout à l’heure.