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reprit le général, c’est qu’il a fallu arracher ces aveux un à un. Que de mauvaises raisons n’a-t-il pas trouvées dans les commencemens pour expliquer sa présence dans nos lignes! Il mendiait, il cherchait des brebis ou des oies à conduire dans la lande, il avait perdu son chemin. Ce qui l’a trahi, c’est son zèle; il questionnait partout, et avec quel art! Il avait battu le pays depuis Jargeau. Sa mémoire est étonnante ! Il sait aussi bien que moi où sont nos cantonnemens et nos postes. Ah ! il aurait bien gagné ses dix francs. Par exemple, si ce n’est pas la première fois qu’il fait ce métier-là, ce sera du moins la dernière.

— Qu’allez-vous en faire? On ne fusille pas un enfant de cet âge...

— Oh non ! je sais! murmura le petit espion.

— Et c’est tant pis pour lui,... ça lui éviterait de mourir à Toulon, mais je l’expédierai à Salbris les poucettes aux mains et un gendarme à son côté, et la prévôté l’enverra dans un pénitencier... File à présent.

L’enfant, qui avait tiré une noix de sa gibecière et qui la croquait avec des dents plus luisantes que celles d’un louveteau, tourna sur ses talons, mais au moment de passer la porte, tendant la main : — Il n’y a rien pour moi? dit-il.

Certains jours venaient où l’on pouvait croire à Villeberquier qu’on allait engager une action ; les régimens prenaient les armes, les escadrons montaient à cheval, les artilleurs attelaient leurs pièces et leurs fourgons, on roulait les tentes sur les sacs. Le petit corps d’armée prenait position sur la route qui conduit à Sully ou sur celle qui court vers Gien; c’était comme si on se fût attendu à la visite de l’ennemi. Des grand’gardes étaient posées à l’angle des bois, sur les hauteurs, au coin des haies; des éclaireurs battaient le pays, les canons avaient la gueule braquée sur les chemins. Le village était dans les transes; certains gardes nationaux demandaient avec inquiétude s’ils ne devraient pas prendre part à la bataille. Mme de Fleuriaux, qui se rappelait ce que le commandant du bataillon des lignards lui avait dit, se mourait de peur. Cette idée que le château de son gendre brûlerait comme un fagot lui était insupportable. Où donc sa fille passerait-elle l’été l’an prochain? Puis le soir venu, après une reconnaissance offensive poussée jusqu’à trois ou quatre kilomètres, la petite armée rentrait dans ses cantonnemens, on dételait les pièces, on pansait les chevaux, on dressait les tentes, les hommes préparaient la soupe, et M. de Selligny, M. de La Vernelle avec leurs amis, bien brossés et parés de linge blanc, se présentaient au château, s’excusant de ne rapporter de leur expédition qu’un grand appétit. — Hélas! disait Mme de Linthal, les obus ne viendront que trop tôt. — Il était clair que l’armée prus-