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sibles. Ils l’acceptaient donc avec empressement; mais d’ordinaire ils se chargeaient d’en payer les frais, et le jour de l’inauguration ils donnaient à dîner à tous leurs collègues. Cette comédie était renouvelée de celle qui se jouait tous les ans à propos des élections municipales, et ici encore le collège reproduisait fidèlement la cité.

La générosité des protecteurs pouvait prendre diverses formes; la plus ordinaire consistait à laisser aux associés une certaine somme pour célébrer des repas communs à des époques fixées. La raison qui rendit les libéralités de ce genre si fréquentes est facile à comprendre. Les gens riches avaient comme les pauvres un grand souci de leur tombeau. Ils savaient bien qu’ils n’en manqueraient pas, et qu’ils n’avaient pas besoin de faire partie d’un collège funéraire pour s’en procurer un. Sur un terrain qui leur appartenait, ils pouvaient faire construire quelque beau monument de marbre avec une salle à manger pour les convives et un autel pour les amis fidèles qui devaient venir y sacrifier; ils pouvaient l’entourer comme d’une barrière par des champs et des jardins qui couvraient plusieurs arpens, y bâtir des maisons pour des concierges et des serviteurs, et se donner ainsi après leur mort une demeure aussi somptueuse et aussi sûre que celle qu’ils habitaient pendant leur vie. Leurs préoccupations étaient différentes. Une triste expérience leur avait appris que rien ne vieillit plus vite que les regrets : étaient-ils certains que ceux à l’amitié desquels ils se fiaient pour entretenir leur tombe et la visiter aux jours de fête ne manqueraient pas à ce devoir? Quand même ils y seraient fidèles, ils devaient disparaître à leur tour, et qu’arriverait-il quand ils ne seraient plus? Une affranchie qui remplit avec soin auprès de sa maîtresse qu’elle a perdue tous ces offices pieux s’exprime ainsi dans l’épitaphe qu’elle lui a consacrée : « tant que je vivrai, tu recevras ces hommages; après ma mort, je ne sais. » Ce doute se glissait dans tous les esprits et les tourmentait. On se répétait qu’une génération suffit pour emporter la mémoire d’une vie éteinte. Un jour devait fatalement arriver où ce nom inscrit sur une tombe ne réveillerait plus aucun souvenir; alors cette salle à manger resterait vide aux anniversaires funèbres, cet autel n’aurait plus de visiteurs, et personne n’y apporterait ni libations ni roses. Pour retarder le plus possible l’heure de cet isolement dont on était épouvanté, quelques-uns imaginaient toute sorte de précautions minutieuses et compliquées. Un habitant de Nîmes avait fait inscrire sur la tombe qu’il se préparait d’avance les noms de trente de ses amis. « Si quelqu’un d’entre eux, disait-il, n’existe plus quand je mourrai, ou s’il meurt après moi, alors les survivans éliront au scrutin à la place de ceux qui ne seront plus les gens qu’ils jugeront les plus dignes,