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de manière que le nombre trente soit toujours complet. Il sera du reste permis à ceux qui ne pourront pas se rendre à mon tombeau aux jours que j’ai marqués d’envoyer quelqu’un dîner à leur place.» Ce qui était bien plus simple, ce qui devait venir d’abord à l’esprit, c’était de confier aux corporations tous ces soins qui concernaient le culte des morts. Elles ne mouraient pas comme les individus, et plusieurs d’entre elles se vantaient déjà de plusieurs siècles d’existence; en les chargeant d’accomplir ces devoirs funèbres, on pouvait espérer que le tombeau ne serait jamais abandonné. C’est dans ce dessein qu’on leur laissait des terres ou de l’argent; les revenus devaient être employés soit à porter des couronnes sur la tombe du donateur pendant les jours consacrés aux fêtes des morts, soit à venir y faire un repas commun à l’anniversaire de sa naissance. D’ordinaire tout était minutieusement prévu : dans une affaire aussi grave on ne voulait rien laisser à l’arbitraire. Tantôt le nombre des convives était fixé, on décidait par exemple qu’on n’entendait pas qu’il y en eût jamais moins de douze; tantôt on leur imposait l’obligation d’être convenablement vêtus. Quelques-uns parlent en maîtres; comme ils paient, ils se croient le droit de commander. Ils ne sont pas d’humeur de souffrir la moindre négligence : si le collège n’accomplit pas les cérémonies exactement à l’époque marquée, il paiera une amende ou rendra l’argent. D’autres prennent un ton plus humble. Ils n’ignorent pas qu’une promesse a moins de chance d’être tenue quand on sait que celui à qui on l’a fuite n’est plus là pour l’exiger; aussi comptent-ils beaucoup plus, pour obtenir ce qu’ils désirent, sur la reconnaissance que sur les menaces. « Je vous en prie, dit l’un d’eux, mes chers collègues, veuillez bien vous charger, avec l’argent que je vous laisse, de faire célébrer un sacrifice pour moi aux jours ordinaires. » Ce sont les pauvres surtout qui s’expriment avec humilité. Un ancien soldat prétorien retiré en Espagne et sa femme adressent sur le tombeau de leur fille un appel touchant à quelque collège funéraire dont ils font partie : « Parens infortunés, nous supplions au nom de notre enfant nos collègues actuels et ceux qui viendront après nous. Puisse aucun de vous n’éprouver jamais une douleur semblable, si vous avez le soin d’entretenir sur sa tombe, aux frais du collège, une lampe qui brûlera toujours. » Remarquons que le christianisme a conserve presque tous ces usages en les transformant; les mots même ont à peine changé. Lorsque, dans des inscriptions païennes, des femmes ou des enfans nous disent qu’ils instituent ces fondations pieuses en mémoire de leur mari ou de leur père, ob memoriam patris, nous songeons à ces chapelles élevées au-dessus des catacombes à l’endroit où les saints étaient ensevelis, et qu’avant