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redoutables; le principal est l’esprit corrompu et corrupteur de la religion grecque, qui n’a pas su et ne saura peut-être jamais se plier aux nécessités du monde moderne, qui inspire à ses disciples un mysticisme décevant et un fanatisme farouche. Un clergé sans instruction et sans moralité, un abus déraisonnable des pratiques extérieures du culte, en même temps une grande facilité de mœurs et une cynique grossièreté de vie, voilà les traits caractéristiques de cette religion orientale. L’ouvrier et le paysan deviennent sous ce joug aussi superstitieux que vicieux. Croirait-on que le nombre des jours fériés pendant lesquels les populations chôment est en Russie de 163 par an, ce qui ne laisse que 202 jours au travail et à la production? Ces fêtes sont régulièrement observées, elles ont même souvent leur lendemain; c’est une superstition assez répandue, paraît-il, que celle qui empêche un ouvrier russe de commencer un ouvrage le lundi. Ainsi l’année dans ce pays se partage en deux parties presque égales, dont l’une est consacrée non pas au repos ni au culte, mais à l’ivrognerie la plus éhontée, et dont l’autre seulement appartient au travail.

Combien cette situation pèse sur l’essor économique des populations, est-il nécessaire de le dire? Les ouvriers les plus intelligens préfèrent s’engager dans d’autres contrées, comme en Roumanie, avec des salaires moins hauts, mais avec des occupations plus constantes. La rémunération est assez élevée en Russie, ce qui ne doit pas étonner, puisque avec le produit de trois ou quatre jours au plus l’ouvrier doit vivre et faire vivre sa famille toute la semaine. Dans quelques provinces, les ouvriers du dernier ordre ne reçoivent, il est vrai, que 1 franc ou 1 franc 50 pour dix heures de travail, mais le plus souvent les salaires se montent à 2 fr., 2 fr. 50, 3 fr. et même davantage. Quant au prix des subsistances et au coût de la vie, ils peuvent être appréciés de diverses manières : assurément le pain noir, la viande et quelques autres denrées sont à meilleur marché que dans l’Europe occidentale, mais tout le reste est d’un prix excessif. Les consuls britanniques s’accordent sur ce point, qu’un ouvrier anglais ne pourrait pas vivre aussi bien en Russie qu’en Angleterre avec la même somme d’argent; celui de Poti va jusqu’à dire qu’il faudrait à un artisan de Londres deux fois plus que ce qu’il gagne en Angleterre pour vivre tolérablement en Russie. Les objets manufacturés, qui sont frappés en douane de droits presque prohibitifs et que l’on ne fabrique qu’imparfaitement dans le pays, ne peuvent être obtenus que moyennant de grands sacrifices. Les habitations sont au plus haut degré défectueuses; tous les logemens qui ne sont pas repoussans et sordides sont d’un loyer considérable. On paierait 600 francs par an à Kertch ou à Riga un appartement dont le loyer annuel serait de 250 fr. en Angleterre ; il