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apparemment pour goûter le frais du matin. Jusque-là, rien de bien habile assurément ; mais Mme de Savenay a vu le visiteur nocturne, l’amant, qui n’est autre que M. Yarley, le médecin qui soignait son père à Wiesbaden. Rien de plus naturel que la visite d’un médecin à une telle heure, et l’on sait gré aux auteurs d’avoir trouvé un témoin à la fois si candide et si facile à tromper ; on leur sait gré d’avoir sauvé par cette invention l’innocence de la jeune fille, tout en faisant de ses paroles la preuve accablante pour le malheureux comte. Celui-ci peut encore garder pour lui le secret de son déshonneur ; mais le silence même dont il couvre l’ignominie de l’infâme créature est la cause de sa perte.

Lorsque sa colère éclate et qu’il menace de tuer cette femme indigne, sa juste indignation passe pour de la folie. Plus il redoublait de prévenances avant de connaître son passé, plus il l’entourait de respect affecté après qu’il est désabusé, plus ses paroles et ses actions présentes semblent la marque de la démence. Il est la victime des précautions qu’il a prises pour sauvegarder son nom. Précautions tardives ! le bonhomme ne songe à garantir son honneur que lorsque le mal est fait ; mais ne demandons pas à cette pièce ce qu’elle contient le moins, les bienséances morales. Il n’en est pas moins vrai que la folie apparente est bien amenée, et c’est ce qui a sauvé le drame de la ruine immédiate. Ne parlons pas du quatrième acte, où le prétendu fou s’échappe de sa geôle et vient étrangler celle qui l’a fait enfermer. Les violences de la scène finale sont la terminaison logique d’un drame dont les auteurs n’ont mis leur confiance que dans un enchaînement de circonstances plus ou moins bien groupées. Nous reconnaissons sur quelques points l’habileté des auteurs ; nous contestons absolument celle du personnage principal qui semble tenir tous les fils de l’action, et qui s’expose à les rompre à chaque instant par ses imprudences, par ses effronteries, par ses grossièretés. On dirait que les auteurs lui ont donné ces façons d’agir et de parler pour amuser une certaine partie du public et qu’ils se sont chargés de retenir l’autre partie en piquant sa curiosité par le détail de la charpente. Ni l’un ni l’autre de ces deux buts ne nous semble atteint. Il convient désormais de puiser à d’autres sources. Si le drame veut revivre, il faut qu’il renonce à l’héritage de la mauvaise comédie, non moins qu’à son propre goût pour les complications purement matérielles.


LOUIS ÉTIENNE.

C. BULOZ.