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de Bergen, des Canaries, dans le détroit de Gibraltar, M. Huxley dans les mers du nord, ont retiré de profondeurs de 4,000 et même de 8,000 mètres des êtres qu’ils ont appelés monères[1]. Ils se présentent sous la forme de petites masses gélatineuses de la grosseur d’une tête d’épingle ou d’un enduit visqueux recouvrant des pierres et d’autres corps solides. Ces masses sont composées uniquement d’albumine sans aucune enveloppe et sans aucune trace d’organisation intérieure. Lorsque le monère se meut, c’est au moyen de prolongemens issus de la masse centrale, ressemblant à des cils ou à des appendices digitiformes. Ces appendices ne sont pas persistans, ils disparaissent quand l’animal ne se meut plus. Sous le microscope, on a pu constater comment le monère se nourrit. Lorsque des particules organiques, débris d’autres êtres vivans. se trouvent en contact avec lui, elles se collent à sa surface et y déterminent une irritation ; il en résulte un afflux de matière albumineuse qui finit par englober le corps étranger et par l’incorporer à la masse du monère, où il se dissout par endosmose. Le mode de multiplication est encore plus simple : la petite masse présente d’abord un étranglement qui se creuse peu à peu des deux côtés et la divise en deux parties; celles-ci finissent par se séparer complètement pour constituer deux êtres distincts, qui se diviseront à leur tour. Le monère est-il une plante ou un animal? Il n’est ni l’un ni l’autre, ou, si l’on veut, il est l’un et l’autre, car dans les rangs inférieurs du règne organique les différences s’effacent, et les caractères distinctifs valables pour les animaux et les végétaux supérieurs s’évanouissent complètement. L’ensemble de ces êtres constitue un règne intermédiaire entre le règne végétal et le règne animal, que Cory de Saint-Vincent avait depuis longtemps reconnu et désigné sous le nom de règne psychodiaire[2]. M. Haeckel en a fait l’embranchement des protistes. Élevons-nous d’un degré dans cette classe. Au lieu d’un simple flocon d’albumine, nous trouvons la cellule; elle se compose d’un noyau solide d’albumine entouré d’albumine moins compacte qui a sécrété une enveloppe extérieure, c’est la cellule, base et origine de l’organisation de tous les végétaux et de tous les animaux. Elle peut vivre isolée, et constitue les protistes connus sous le nom d’amœba, protococcus, etc. L’amœba se multiplie comme le monère; son enveloppe se rompt, deux noyaux se développent dans l’intérieur, la petite masse se divise par étranglement, et deux amœba apparaissent au lieu d’une. Cha-

  1. Voyez à ce sujet une étude de M. E. Blanchard sur la Vie dans les profondeurs de la mer, — Revue du 15 janvier 1871.
  2. Dictionnaire classique d’histoire naturelle en seize volumes, articles Règne et Psychodiaire, 1828.