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végétaux disparus. Les deux sciences sœurs, la botanique et la zoologie, unissent donc leurs efforts pour faire revivre les époques géologiques qui ont précédé la nôtre. Grâce à elles, les différens chapitres de l’histoire du globe se compléteront peu à peu, et chaque jour nous dévoilera quelques-uns des mystères de la création. La génération présente aura vu la première aurore de ce soleil nouveau dont les rayons dissiperont comme de vaines ombres les obscurités mystiques et les traditions fabuleuses dont l’origine du monde était enveloppée.

M. Haeckel termine son remarquable ouvrage sur l’histoire de la création par la réfutation des principales objections qui ont été faites à l’ensemble des doctrines dont Lamarck, Goethe et Darwin sont les immortels promoteurs. Il se demande comment des vérités aussi évidentes ont été si lentes à se produire. On a peine à comprendre en effet que les efforts réunis de savans à la fois zoologistes, paléontologistes et géologues, tels que Cuvier, de Blainville, Geoffroy Saint-Hilaire, Agassiz, Jean Müller, Richard Owen, n’aient pas hâté l’avènement de cette grande synthèse des règnes organiques. L’étonnement cesse quand on considère les causes diverses qui ont arrêté le mouvement dont les élémens principaux existaient déjà bien avant que Darwin les coordonnât, les mit en œuvre et entraînât à sa suite quelques jeunes naturalistes dégagés des traditions du passé. Voici en peu de mots les causes principales de cet arrêt dans la marche de la science. D’abord les philosophes allemands avaient dégoûté les naturalistes de la philosophie de la nature. Les systèmes de Schelling, Steffens, Kielmeyer, Garus, construits a priori de toutes pièces, véritables châteaux aériens sans base et sans fondemens, s’écroulaient au souffle du moindre fait positif et bien constaté. Quant aux philosophes français, étrangers au monde extérieur, qui leur était inconnu, ils se bornaient à l’étude des facultés de l’esprit humain considéré comme un être immatériel, abstrait, isolé du corps auquel il est uni et du milieu qui les entoure et les étreint tous deux. Il en résulta que les naturalistes, de peur de mal raisonner, ne raisonnaient plus du tout; ils se bornaient à observer, à décrire, à accumuler des masses énormes de matériaux, semblables à un architecte qui se contenterait d’entasser dans un chantier les pierres d’un édifice sans jamais le construire. L’observation minutieuse, mais stérile, des corps organisés a créé la spécialité. Chacun s’est cantonne dans un coin du règne animal ou du règne végétal, perdant de vue l’ensemble non-seulement de la nature, mais même de la classe de végétaux ou d’animaux auxquels il consacrait sa vie. La division du travail, si fort en honneur dans l’industrie, a envahi l’histoire naturelle et rendu les spécia-