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gellan, aux îles Chiloe, ce sont les glaciers et les phénomènes glaciaires, alors inexpliqués, qui attirent son attention; aux îles Galapagos, ce sont des animaux étranges, inconnus sur la côte voisine du Chili; sur les bords de La Plata, il exhuma les restes fossiles de grands animaux éteints; au Brésil, l’aspect de la forêt vierge tropicale le plonge dans un ravissement qui ne laisse place à aucune autre pensée. Quelle moisson de faits, d’observations, de comparaisons, pour une intelligence ouverte à toutes les conceptions que lui suggérait le spectacle de tant de tableaux variés! Revenu en Angleterre avec une santé altérée par les fatigues d’une si longue navigation, Darwin se retire à la campagne, méditant sur ce qu’il a vu et ajoutant aux richesses de son expérience personnelle celles de tous les naturalistes et de tous les penseurs qui pouvaient accroître son trésor intellectuel. Dans sa solitude, il se livre aux observations les plus délicates sur les relations des plantes avec les animaux qui les entourent, il étudie minutieusement les changemens que la sélection artificielle produit dans l’organisation des végétaux et des animaux. Enfin, après vingt ans de méditations, cédant aux sollicitations de ses amis, il se décide à publier son livre sur l’origine des espèces. Incompris ou mal compris au début, il attend patiemment, comme jadis Laurent de Jussieu, que le temps, cet élément indispensable de tout progrès, fasse son œuvre et prépare le succès final; comme lui, il a le bonheur de voir une école nouvelle s’inspirer de son esprit, marcher dans la voie qu’il a ouverte et développer les principes féconds dont il n’avait posé que les bases. Actuellement une élite de jeunes naturalistes se proclament ses élèves et continuent ses travaux.

Une doctrine dans laquelle les faits isolés se contrôlent et se coordonnent dans un ensemble harmonieux ne saurait être un vain bruit destiné à mourir sans écho. Comme la méthode naturelle, le darwinisme sera un jour la loi souveraine et universellement acceptée de la science des êtres organisés. Dans cette étude rapide, j’ai cherché à en faire connaître l’esprit : je ne puis me flatter d’avoir convaincu les incrédules; mais, si j’éveille l’attention des naturalistes et des penseurs, mon but sera atteint, car l’axiome consolant dont l’histoire des sciences démontre l’infaillibilité, c’est que le triomphe définitif appartient toujours à la vérité.


CHARLES MARTINS.