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tocratie romaine, la défense du régime impérial et jusqu’à celle d’un Tibère. les empereurs, a-t-on dit, ont combattu la tyrannie du patriciat; ils en ont affranchi les peuples, auxquels, par leur savante administration, par leurs incessantes et libérales réformes, par une centralisation à la fois énergique et prudente, ils ont ensuite assuré le triple bienfait des libertés civiles, d’un large développement législatif et d’une grande prospérité matérielle. On cite les inscriptions, chaque jour plus nombreuses grâce aux progrès de l’archéologie; elles attestent, assure-t-on, qu’un heureux essor animait, jusque sous les mauvais princes, les provinces les plus éloignées. Un écrivain allemand a été jusqu’à soutenir que Tibère était en vérité « une bonne et noble nature; » le seul parti sénatorial, égoïste et haineux, en l’abreuvant d’humiliations, en pervertissant par ses calomnies l’esprit public à l’endroit du prince, l’avait précipité dans une sombre tristesse, bientôt transformée par ce caractère énergique, mais excessif, en déplorable fureur. Quant à son historien, entraîné par les défauts de son éducation littéraire vers les abus de langage familiers aux rhéteurs, partageant d’ailleurs les vues d’une opposition tracassière et jalouse, nourri des souvenirs républicains, qui servaient aux uns d’armes perfides contre l’empire, aux autres d’argumens sonores dans leurs exercices d’école, il s’est fait l’organe des mauvaises rancunes ; oubliant son vrai rôle, il est devenu pamphlétaire. Rien n’empêche de croire que sa Germanie en particulier est l’œuvre d’un détracteur systématique plutôt que celle d’un historien.

Nous n’avons pas à traiter ici la question spéciale du jugement que Tacite a porté sur Tibère; c’est un procès que divers juges ont examiné, trop souvent sans se dépouiller de leurs préjugés ou de leurs passions politiques. Il nous suffit de rappeler que nul n’ose prendre la défense des horribles dernières années de cet empereur, et que ces années vérifient singulièrement le sinistre présage de son maître de rhétorique (Suétone le rapporte) sur sa première enfance : « c’était de la boue délayée dans du sang! » Entre ce début et cette fin, qu’on place, si l’on peut, une noble vie, ou seulement un règne honorable. Ce règne et cette vie ont toutefois eu des degrés, que Tacite a marqués d’une plume impartiale. C’est avec une sorte d’anxiété généreuse qu’il note pas à pas le fatal progrès de cette corruption; quelle parole en même temps équitable, indulgente même et profonde, que celle par laquelle il résume tout le débat! Tibère, suivant lui, — son langage peut être ici commenté plus facilement que traduit, — Tibère a été la première victime du césarisme; il a été corrompu et gâté par le pouvoir absolu, vi dominationis convolsus et mutatus. Pour ce qui est des preuves qu’on entend tirer de l’épigraphie, assurément les services que cette science rend tous les