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jours à l’histoire sont incontestables. Grâce aux travaux d’un Borghesi, depuis les recherches de M. Mommsen en Allemagne, de MM. Léon Renier et Waddington en France, nous commençons à voir se développer dans ses principaux traits l’immense édifice du gouvernement romain. Des monumens tels que la loi Thoria sous la république, tels que le testament d’Auguste, le discours de Claude, les donations alimentaires et l’édit du maximum sous les empereurs, comptent au nombre des pages d’histoire les plus précieuses; toutefois il faut distinguer avec soin parmi les inscriptions, dont un grand nombre, actes de servilisme ou bien mensonges officiels, seraient de nature à donner le change. Quelle faute ne commettrait pas l’historien qui prendrait au pied de la lettre, aux heures les plus cruelles de la révolution française, la fameuse devise inscrite alors sur nos murs! Et quelle erreur serait celle qui, parmi les innombrables inscriptions qu’a récemment découvertes M. Henzen à Rome, accepterait pour sincères les officielles actions de grâces dont le collège des arvales s’acquittait chaque année, ou bien les hommages que les cités des provinces inscrivaient sous chaque règne à la base de nouvelles statues ou au fronton de nouveaux temples! Les textes manqueraient-ils à celui qui demanderait avec doute à quelle époque de l’empire les provinces auraient donc été si heureuses? Était-ce au commencement de cette période, alors que s’inaugurait cette redoutable forme de gouvernement appelée le césarisme, destinée à détruire toute liberté par la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme en face d’une plèbe aveugle l’Ne vivait-il pas sous Auguste, cet esclave devenu gouverneur de la Gaule, Licinus, qui ingénieusement, décembre signifiant le dixième mois selon l’étymologie, faisait l’année de quatorze mois, afin d’exiger quatorze contributions au lieu de douze? Auguste, averti par les doléances des provinciaux, vint à Lyon, il est vrai; mais Licinus lui montra son butin, «J’ai retiré, dit-il, tous ces trésors des mains des Gaulois, afin qu’ils ne s’en servissent pas pour conspirer contre Rome et contre toi. César, et maintenant je remets entre tes mains cet argent et cet or. » Dion Cassius dit-il que l’empereur ait puni Licinus ou fait du moins restituer les sommes, les objets précieux qu’il avait volés? Bien loin de là, l’empereur, qui usait de ces fonds pour subvenir aux grands travaux de Rome, se faisait le complice de Licinus en le dupant lui-même. Cet affranchi lui ayant remis un jour un bon de 10 millions de sesterces, comme le trait placé au-dessus des valeurs numériques se prolongeait à droite, Auguste en profita pour remplir le vide et ajouter, en imitant l’écriture, un chiffre égal au premier, de sorte qu’il se fit remettre le double de la somme promise. C’étaient les Gaulois qui payaient, et Licinus vint s’établir à Rome pour jouir