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des maîtres honnêtes, comme un Nerva ou bien un Trajan, ont promis d’associer enfin l’autorité suprême et la liberté, Tacite a prouvé, en se montrant prêt à être satisfait, que ses justes vœux n’étaient l’expression ni d’une pensée de retour aveugle vers le passé, ni d’impraticables rêveries. Joignez ensemble la préoccupation d’un futur grand péril, — que ses intelligentes prévisions aperçoivent au dehors, — et l’anxiété que lui inspirent les maux domestiques, et vous voyez se former le double sentiment sous l’influence duquel le traité de la Germanie a été composé. L’examen le plus superficiel suffirait pour achever de démontrer que ce livre est l’œuvre très étudiée d’un patriote, d’un politique, d’un historien, non d’un utopiste, ni d’un pamphlétaire, ni d’un rhéteur.


II.

Ce n’est pas que Tacite, nous rendant, à la manière des écrivains modernes, un compte exact de son travail, déploie à nos yeux un grand appareil d’érudition. Loin de là, il est malaisé pour nous de découvrir où il a puisé ses matériaux, bien que nous devinions qu’il en a réuni beaucoup. Il cite formellement César, à qui il rend hommage. César en effet avait le premier abordé le monde barbare; il l’avait observé avec son regard pénétrant et sa vive intelligence, et devenait ainsi, pour l’historien comme pour l’homme de guerre, le premier guide à suivre. Tacite ne l’aurait pas nommé dans un chapitre de sa Germanie qu’on ne devinerait pas moins l’emploi qu’il en a fait, car son commencement est celui des Commentaires : c’est la même entrée en matière, ce sont les mêmes mots nets, précis, allant tout de suite au but.

Bien qu’il ne nomme expressément aucun autre auteur par lui consulté, on peut se convaincre que Tacite a eu entre les mains les ouvrages de Pline l’Ancien, mort depuis vingt ans à peine. Pline, après avoir servi comme chef de cavalerie contre les Germains, avait composé en vingt livres une histoire de ces guerres; l’ombre de Drusus, le valeureux beau-fils d’Auguste, lui avait apparu en songe pour lui recommander de sauvegarder ainsi sa mémoire. Cet ouvrage, qui nous serait aujourd’hui si précieux, semble avoir survécu en manuscrit jusqu’au XVIIe siècle en Allemagne; il est perdu, quant à présent du moins, sinon pour toujours. On a conjecturé sur plusieurs indices que l’auteur en avait transcrit quelques pages dans sa grande Histoire naturelle, et Tacite lui-même paraît avoir puisé dans l’un ou l’autre ouvrage soit les curieux détails qu’il a placés à la fin de sa Germanie sur l’ambre, soit d’importantes données d’ethnographie. — La critique allemande a fait trop de bruit de prétendus emprunts qu’aurait faits Tacite à