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mens religieux et moraux, leurs institutions républicaines ne pourront plus subsister. En entendant parler de la sorte les Américains, nous pouvons juger de ce qu’il y aurait à faire en Europe, où les difficultés sont tout autrement grandes, et où le peuple est beaucoup moins préparé à les surmonter.

Signalons d’abord un fait très remarquable : par un act du 2 mars 1867, le congrès fédéral a établi un département de l’instruction publique (department of education). Cette mesure peut nous étonner, car l’enseignement ne concerne que les états particuliers ; le pouvoir fédéral n’y peut intervenir. S’il a créé un bureau spécial pour cette matière, c’est qu’au moins il veut être renseigné, afin de pouvoir suivre et exciter les efforts qui ont pour but de répandre l’instruction. Certains points méritent d’être notés dans la façon dont ce nouveau service a été organisé. A la tête est placé un surintendant nommé directement par le congrès. Dans les états particuliers, on trouve aussi un surintendant de l’éducation, élu tantôt par le peuple, tantôt par le parlement, mais toujours indépendant du ministère. Il jouit d’une haute position et d’une grande considération. Dans la plupart des états, son traitement égale celui du chef du pouvoir; dans quelques-uns, comme dans le New-Jersey, l’illinois, le Wisconsin, il est plus élevé. Le surintendant fédéral touche 4,000 dollars, plus de 20,000 francs. Il nomme lui-même tous ses employés; il a une autorité absolue, mais aussi un responsabilité complète. Il est à l’abri des fluctuations de la politique et des changemens de ministères; il est choisi pour une fonction spéciale en raison de ses capacités spéciales. S’il fait avancer l’enseignement, il conserve la place; sinon, il n’est pas réélu. Les surintendans éminens ou vraiment capables conservent longtemps leur position, et peuvent ainsi s’occuper des réformes de l’enseignement avec la suite indispensable en cette matière. En Prusse, après 1815, le ministre von Altenstein resta au pouvoir pendant vingt-quatre ans, et à sa mort il laissait au pays 30,000 écoles primaires pour 15 millions d’habitans. Avec le régime absolu, les ministres durent assez longtemps pour mener à bout une œuvre importante; le régime parlementaire leur laisse rarement assez de loisir et assez d’années pour cela. Il faut donc arriver au même résultat par d’autres moyens. C’est ce que font les Américains en créant des fonctionnaires spéciaux.

Le congrès a un surintendant fédéral de l’instruction, M. Barnard, connu, estimé, admiré dans toute l’Union pour son infatigable dévoûment et ses importantes publications consacrées à l’enseignement. Supposez qu’en France le parlement nomme directeur-général de l’enseignement, en dehors de toute influence politique, un