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La gratuité est, prétend-on, contraire à l’intérêt des pauvres que l’on veut favoriser. Aujourd’hui ils sont exempts de l’écolage, seules les familles non indigentes le paient; cependant, si les dépenses de l’enseignement doivent être complètement supportées par l’impôt, les pauvres y contribueront pour leur part, car une partie de l’impôt est payée par eux. Cette objection serait fondée, si pour les frais de l’instruction on n’avait recours qu’au budget de l’état; mais en Amérique on couvre la majeure partie des dépenses scolaires au moyen d’un impôt spécial sur le capital[1], que chaque commune vote et répartit sur les habitans en proportion de leur fortune. Impôt local et spécial, voilà le principe anglo-saxon en cette matière, et ce principe est excellent. Les contributions doivent être votées, levées et dépensées sur place, dit-on en Amérique, sans être aspirées d’abord au centre, pour être ensuite renvoyées aux extrémités sous forme de subsides et de faveurs. En Europe, chaque province, chaque commune s’efforce de payer le moins qu’elle peut, et de tout tirer du budget de l’état. On ne voit pas que, tous faisant de même, chacun par les mains de l’état paie pour son voisin. Il serait plus simple que chacun payât pour soi. Le résultat serait à peu près le même, avec cette différence qu’une partie de l’argent reste en route dans ce double voyage des extrémités au centre et du centre aux extrémités.

Sans traverser l’Atlantique, nous pouvons voir à nos portes comment il est possible d’établir la gratuité, sans grever le budget général, et en favorisant la fréquentation de l’école. Dans le grand-duché de Luxembourg, tous les frais de l’instruction sont à la charge de la commune, qui, en cas de besoin, reçoit un subside de l’état; mais une partie de la dépense est couverte par une taxe répartie sur les parens des enfans de six à douze ans. Ces contribuables sont divisés en classes et taxés suivant leur fortune et le nombre de leurs enfans. Les indigens sont exempts de cet impôt, et ils reçoivent gratuitement les livres et le matériel de classe nécessaires. La taxe d’école remplaçant la rétribution a donné les meilleurs résultats. Le père de famille, qui est obligé en tout cas de payer pour ses enfans, tient à profiter de l’argent déboursé en les envoyant à l’école, tandis que la rétribution scolaire les en éloigne, car le père fait une économie en les gardant chez lui. Voici les résultats obtenus dans le Luxembourg. Sur 100 habitans, on trouve 14 écoliers, et sur 100 miliciens pas 2 illettrés (1,85 pour 100), proportion plus favorable même qu’en Prusse. Dans le Canada français, un système analogue a également très bien réussi. En France, l’écolage produit

  1. Les Américains croient pouvoir taxer le capital, les immeubles surtout, parce que les rapports des inspecteurs démontrent qu’autour d’une bonne école la propriété augmente de valeur. L’impôt scolaire n’est donc qu’une avance très lucrative.