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plus de 5 millions pour bâtir des écoles nouvelles. Au bord de l’Atlantique, la Californie consacre aussi à l’enseignement plus de 12 francs par tête. On peut donc dire que dans les états à population blanche le budget scolaire dépasse 10 francs par tête, et qu’il a doublé depuis la guerre civile; dans plusieurs états, il a triplé. Qu’on veuille bien remarquer que cela ferait pour la France 370 millions annuellement. Pour apprécier comme ils le méritent les sacrifices faits par les Américains, il ne faut pas oublier qu’aucun peuple n’a jamais supporté de si énormes impôts. Avant la guerre, le revenu de l’Union montait à 75 millions de dollars; pour l’année fiscale finissant en juin 1870, il s’est élevé à 411,255,477 dollars. À ces 2 milliards de francs, il faut ajouter encore 1 milliard 1/2 de francs pour les dépenses des états, comtés et communes[1]. Dans certaines villes, l’impôt atteint un niveau effrayant. A New-York, il va à 29 dollars par tête, à Boston à 36 dollars ou 180 francs, ce qui fait environ 800 francs par famille. À ce taux, Paris devrait payer 360 millions, et qu’on note bien qu’aux États-Unis il n’y a pas d’octroi. Ces écrasans impôts sont levés directement sur le capital mobilier et immobilier, et ils montent à 2 et 3 pour 100 du capital imposable[2]. Arrivé à ce point, l’impôt est presque une confiscation. Une part énorme du revenu de chacun est prise pour le service public, et ce n’est pas un roi ou une assemblée souveraine qui vote ces impôts inouis; ce sont les citoyens eux-mêmes, réunis dans leurs comices. L’impôt sur le capital, que les habitans s’imposent à eux-mêmes, est surtout exorbitant dans les districts peu peuplés de la campagne, où quelques familles doivent supporter tous les frais de l’enseignement. Pour ne citer qu’un exemple relaté parmi beaucoup d’autres, dans Potter-County (Pensylvanie), la taxe scolaire monte à 22,68 mills (millième du dollar = 1/2 centime) par dollar de capital, ce qui fait 11 centimes par 5 francs ou 2 francs 20 centimes par 100 francs de capital imposable.

Ce qui n’est pas moins étonnant pour nous, qui sommes habitués à voir quelle petite place l’enseignement occupe dans nos budgets européens, c’est la part énorme des dépenses totales qui, en Amé-

  1. La commission de révision des impôts pour l’état de New-York estime que les taxes autres que celles de l’Union doivent être d’environ 750 millions de dollars. — Report of the commissioners, New-York, 1871, p. 6.
  2. Pour qu’on admette des faits aussi extraordinaires, il faut citer des chiffres précis. En 1869, la propriété dans l’état de New-York était estimée 1,860,120,770 dollars, et le total des impôts s’élevait à 46,161,531 dollars ou 2 1/2 pour 100, c’est-à-dire qu’une propriété estimée 100,000 francs payait 2,500 francs d’impôts. Boston, en 1870, avec une population de 250,700 âmes, payait 9,026,753 dollars ou environ 45 millions de francs. (Report of the commissioners, p. 7.) C’est le cas de rappeler l’opinion de Montesquieu, que les pays libres paient plus d’impôts que les peuples asservis.