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d’intérêt général, et de confier la gestion des intérêts locaux à des administrations locales indépendantes et nommées par les citoyens. C’est ce que l’on appelle la décentralisation. Cette idée est très en faveur aujourd’hui, mais on n’en fait que des applications timides. Il faudrait peut-être aller jusqu’à rétablir les anciennes provinces avec des assemblées régionales, en réunissant les départemens qui par les relations géographiques et l’identité des intérêts économiques forment véritablement un groupe naturel. Un régime fédéral plus ou moins étroit sera généralement adopté partout dans l’avenir, parce que c’est le seul moyen d’assurer l’union des races, et plus tard de l’espèce, sans briser les diversités locales et sans asservir les hommes à une étouffante uniformité. Les libertés locales sont les seules que la plupart des hommes comprennent, et qu’ils peuvent exercer à tous les degrés de civilisation. Voyez les Russes et même les habitans de l’Inde et de Java ; ils administrent leurs intérêts communaux de temps immémorial. Les institutions locales, quand le pouvoir central ne les détruit pas de propos délibéré comme en France, résistent à tous les changemens politiques et aux convulsions sociales, parce qu’elles répondent à un besoin naturel. Sans les libertés provinciales, le régime parlementaire ne donne que l’apparence de la liberté : au fond, le despotisme subsiste, exercé tantôt par un monarque, tantôt par une assemblée. L’autonomie des provinces est la citadelle de la liberté. Autrefois le pouvoir du souverain était limité par la faiblesse de ses moyens d’action et par l’indépendance du clergé, de la magistrature, des villes et des provinces. Aujourd’hui examinez la société française ; vous ne trouverez nulle part une force indépendante capable de tenir tête au souverain. Ce régime, de quelque étiquette qu’on le décore, n’est que l’absolutisme tempéré par des révolutions périodiques. L’histoire d’un peuple sans autonomies locales ne sera jamais qu’une alternative de convulsions et de défaillances. Songez à la résistance énergique que la Bretagne, cette province si monarchique, a opposée à l’omnipotence royale. Maintenant on renverse le trône, mais la résistance légale, appuyée sur des droits et sur des traditions, est chose inconnue. Si la Hongrie a su toujours défendre ses libertés contre les usurpations de l’absolutisme, c’est parce que l’indépendance des comitats a été respectée. Fermant les yeux aux enseignemens les plus clairs de l’histoire, les républicains français ne veulent à aucun prix des autonomies provinciales, et pourtant sans elles la république n’est qu’un vain mot. Les seules républiques qui, sans être de simples cités comme Athènes ou Sparte, ou des villes gouvernant despotiquement des pays conquis, comme Rome et Venise, aient assuré à tous une liberté réelle ont été des fédérations.