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mesure de ses forces. « La communauté agraire, dit en terminant M. Tchitcherine, a été le produit de la servitude ; elle disparaîtra avec elle devant la liberté. »

La thèse de MM. Tchitcherine et Bistram est en partie conforme, en partie contraire à la réalité des faits. Il est vrai que le servage, la solidarité des charges imposées aux communes, l’état arriéré de l’agriculture, ont maintenu en Russie la propriété commune, qui dans l’Europe occidentale a fait place depuis longtemps à la propriété individuelle ; mais comment supposer que les paysans aient introduit spontanément une coutume aussi étrange que le partage périodique des terres, si celle-ci n’avait pas eu de précédens dans les traditions nationales ? L’histoire nous montre partout au contraire la propriété, individuelle sortant de la collectivité primordiale. Je vois bien des groupes d’hommes qui sous l’empire de l’exaltation religieuse mettent en commun tout ce qu’ils possèdent et renoncent à distinguer le tien du mien ; nulle part je ne découvre tout un peuple abolissant la propriété privée pour établir la communauté. Une semblable opération pourrait à peine se concevoir.

Quand d’ailleurs on trouve les communautés de village chez les Slaves méridionaux, chez les Tchèques, chez les Polonais, chez toutes les tribus slaves, en outre chez les Germains, chez beaucoup de peuples de l’antiquité, dans l’Inde, en Chine, en Amérique, en un mot dans toutes les sociétés qui sortent de l’état nomade et pastoral pour adopter le régime agricole, il est impossible d’admettre qu’en Russie la communauté ait été seulement introduite à la suite des lois de Fedor, de Boris Godunof et de Pierre Ier. Ces lois ont pu ramener au régime collectif certaines communes qui commençaient à en sortir et où la propriété individuelle était déjà constituée : elles n’ont pu le faire naître.

Il est facile de comprendre comment la solidarité des charges imposées à la commune a maintenu et fortifié la collectivité agraire du mir. La commune devait solidairement à l’état et au seigneur certaines prestations en argent, en denrées ou en corvées ; elle avait donc intérêt à ce que chaque habitant pût en supporter sa part, et pour cela il fallait que tous les ménages, tiaglos, eussent un lot de terre sur lequel ils pussent produire de quoi faire face à leur part des charges communes. Un individu privé de l’unique instrument de travail que l’on connût, la terre, ne pouvait rien produire, et, comme l’impôt était compté par tête et dû solidairement, c’était alors aux autres à payer pour lui. La répartition égale du sol arable était donc dans l’intérêt général.

Le village russe est formé d’une série de maisons construites en poutres superposées, comme le loghouse américain ou le chalet