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presque absolue, par le chef appelé « l’ancien. » Tout l’avoir reste en commun. Il n’y a point en général d’hérédité ni de partage. La maison, le jardin, les instrumens aratoires, le bétail, les récoltes, les meubles de toute nature demeurent la propriété collective de tous les membres de la famille. Nul ne pense à en réclamer une part individuelle. A la mort du père de famille, l’aîné de la maison lui succède dans l’administration ; dans certains districts, c’est le fils aîné, dans d’autres le frère aîné du défunt, pourvu qu’il habite la même maison. Ailleurs encore ce sont les membres de la famille qui choisissent le nouveau chef. S’il ne reste que des mineurs, un parent vient s’établir avec eux et devient alors co-propriétaire. Quand un partage a lieu, ce qui est moins rare qu’autrefois, il se fait non suivant les degrés de parenté, mais par tête de mâle adulte habitant la maison. Un orphelin ne peut succéder par représentation de son père, et ceux qui ont quitté la demeure paternelle n’héritent pas. Les femmes restent confiées aux soins de l’une ou l’autre des sections de la famille, et elles reçoivent une dot à leur mariage. Dans le nord, la maison est dévolue à l’aîné. Dans le midi, c’est le plus jeune fils qui en hérite, parce qu’ordinairement on a créé un établissement séparé pour le fils aîné pendant la vie du père. Ce qui donne donc le droit à hériter, ce n’est pas le sang, la descendance, c’est un titre plus effectif, la coopération au travail qui a produit les biens qu’il s’agit de partager. L’oncle, le neveu, le cousin adultes, ont travaillé de même ; ils auront une part égale. La jeune fille, l’enfant, n’ont encore contribué en rien à la production ; il sera pourvu à leurs besoins, mais ils n’ont aucun droit à une part de l’hérédité. Dans la famille comme dans l’état russe, l’idée d’autorité et de puissance se confond avec celle de l’âge et de la paternité. Le mot starosta signifie « le vieux, » le mot starshina en est le comparatif, « plus vieux. » L’empereur est « le père, » — « le petit père. » C’est le vrai principe du régime patriarcal.

Depuis l’émancipation, l’ancienne famille patriarcale tend à se dissoudre. Le sentiment de l’indépendance individuelle la mine et la détruit. Les jeunes gens n’obéissent plus à « l’ancien. » Les femmes se querellent à propos de la tâche qu’elles ont à faire. Le fils marié veut avoir sa demeure à lui ; comme il peut réclamer une part de la terre, et que le paysan russe se construit bientôt une demeure de bois qu’il façonne, la hache à la main, avec une habileté merveilleuse, chaque couple s’établit à part. La dissolution de la famille patriarcale entraînera celle de la communauté de village, parce que c’est dans l’union du foyer domestique que se développaient ces habitudes de fraternité, ce détachement de l’intérêt individuel, ces sentimens communistes qui maintenaient