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rêveries de la solitude, raffinée avec innocence par les subtilités amoureuses d’une foi naïve qui, comme toutes les passions pures et sans défiance, ne s’interrogeait sur elle-même que pour trouver de nouveaux motifs d’aimer.

Une amusante curiosité de Villeneuve est une immense maison du dernier siècle occupée par un épicier ; elle intéresse vivement le promeneur par la difficulté d’en fixer le caractère et la primitive destination. Ce n’est pas un ancien hôtel, et ce n’est pas un ancien édifice public. La façade, d’aspect assez imposant, est ornée à tous ses étages de médaillons sculptés d’une exécution passable représentant les dieux de l’Olympe. Tout en haut, Jupiter, comme il convient au maître des dieux ; tout en bas, Pluton, le dieu des souterrains et des lieux obscurs ; dans l’intervalle du premier et du second étage, Diane, Cérés, Neptune, Bacchus ; au milieu Mercure. Information prise, il se trouve que cette maison réalise quelque peu la fable des bâtons flottans, car ce n’est autre chose qu’une ancienne maison de poste bâtie au dernier siècle, et qui servait en même temps d’hôtellerie ; mais l’hôtelier, qui, paraît-il, cumulait le service des postes avec celui des bateaux de l’Yonne, fut certainement un homme d’esprit, si l’invention de cette façade mythologique lui revient. Muni des petits renseignemens que nous avions amassés, il ne nous fut pas difficile de découvrir que ces sculptures n’étaient autre chose qu’un amusant rébus de pierre qui pouvait se traduire à : peu près ainsi : « Ici, en toutes saisons et par tous les temps, soit que Jupiter règne (été) ou que ce soit Pluton, roi des jours sombres (hiver), on se charge de faire transporter tous les messages (Mercure), tant par terre que par eau, ainsi que les denrées produits des champs (Flore et Cérès), des coteaux (Bacchus), des eaux (Neptune), des forêts (Diane), c’est-à-dire grains, vins, poissons et gibier. » Ce rébus sculpté n’est autre chose, on le voit, qu’une transformation ingénieuse de l’ancienne enseigne allégorique ; mais je crois cet exemple unique, et je le signale aux collectionneurs de faits curieux.

Cette maison, dis-je, est occupée par un épicier, et, puisque j’en trouve l’occasion, je veux apprendre au public, qui probablement l’ignore, qu’un caprice de la fortune a voulu que ce corps de négocians fût logé, sinon plus somptueusement, au moins plus historiquement que tous les autres. Les maisons de François Ier surtout semblent lui avoir été plus particulièrement dévolues. À Étampes, des barils d’huile et des fromages de Gruyère emplissent de leurs fortes senteurs la charmante petite maison d’Anne de Pisseleu, véritable bonbonnière de jolie femme qui fut jadis habituée à d’autres parfums, et dont les délicates sculptures racontent encore