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peut-être celle qui eut lieu sous l’empereur Gallien, au milieu du IIIe siècle de notre ère. Le chef de cette horde dévastatrice est appelé le roi Crocus ; nous laisserons aux disciples d’Augustin Thierry le soin de retrouver sous cette forme latine le nom soit germain, soit plus probablement slave, de ce capitaine de pillards. Le roi Crocus, poussant tout droit devant lui à la manière des taureaux qui donnent de la corne jusqu’à ce qu’elle se brise contre une muraille, descendit, massacrant et incendiant avec frénésie sur son passage, de Mayence à Metz, de Metz à Langres, de Langres en Auvergne, et d’Auvergne en Provence, où il cassa ses défenses près d’Arles, à la grande satisfaction des malheureuses populations gauloises qu’il allait fauchant avec prodigalité. Les ravages de cet animal furieux furent d’autant plus faciles qu’à ce moment l’empire traversait une crise intérieure des plus graves (celle des trente tyrans), et que ses forces militaires, partout divisées, étaient presque nulles dans les Gaules. Crocus cependant semble avoir rencontré une sérieuse résistance chez les chrétiens gaulois exhortés par leurs chefs ; c’est du moins ce qu’on peut induire de la grande quantité de martyrs que les légendes attribuent à ce persécuteur inattendu et improvisé. Saint Florentin fut au nombre de ces martyrs. Il paraît, s’il faut en croire les vitraux de notre église, qu’il avait parlé vigoureusement contre le roi Crocus. Ses exhortations eurent assez de retentissement pour arriver jusqu’aux oreilles de l’envahisseur, qui fit traîner le chrétien devant lui. Ce qu’il y a de curieux dans cette légende, toujours telle que la présentent nos vitraux, c’est que Crocus semble laisser percer une certaine admiration pour les talens de son adversaire et qu’il se contente d’abord de lui demander de sacrifier à ses idoles païennes comme un simple magistrat romain. Sur le refus de Florentin, Crocus ordonna de couper cette langue éloquente qui avait parlé contre lui ; puis, s’excitant encore davantage à la colère, il finit par lui faire trancher la tête. L’auteur des jolis vitraux de Saint-Florentin a représenté cette colère du roi Crocus de la manière la plus amusante et la plus fidèle à la fois : les yeux bleus du barbare, étincelant de fureur au fond de sa tête rousse, le font ressembler à une citrouille creuse dans laquelle on a placé deux chandelles. Cet aspect est précisément celui de l’Allemand en colère, et l’artiste, qui sans doute en avait vu plus d’un en proie aux accès de cette mâle passion, s’est acquitté de sa tâche avec exactitude et bonheur. Quel que soit le plus ou moins de vérité des détails de cette légende, ne voyez-vous pas facilement que le saint recouvre un patriote gallo-romain, et qu’étant mort pour avoir mis sa parole au service des populations gauloises opprimées, on peut dire en toute exactitude que son