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mois après sa mort, dit un de ses biographes, Baillet, l’auteur de la Vie des Saints, on fut obligé de le lever de terre pour satisfaire la dévotion des peuples, qui n’eurent pas la patience d’attendre le jugement du saint-siège pour rendre un culte religieux à sa mémoire. » Ceci est, je crois, une erreur, ainsi que nous le dirons tout à l’heure ; mais ce qui l’atténue singulièrement, c’est qu’en effet la piété populaire n’attendit pas la canonisation, et que son corps fut honoré comme celui d’un saint dès le premier jour où il fut rapporté à Pontigny.

Flos Angliœ, decus Galliœ, dit, dans ce langage métaphoriquement aimable dont l’église sait orner la mémoire de ceux qui l’ont honorée, une inscription gravée sur l’autel nouvellement construit de la chapelle qui lui est consacrée, — fleur d’Angleterre entrée dans la parure de la France ; ces mots résument bien toute sa destinée. Il était Anglais et d’origine saxonne ; il est très facile de reconnaître en lui les plus essentiels de ces traits de race qui composent le caractère du peuple de la Grande-Bretagne. L’éducation du foyer par exemple, cette religion du home, si forte chez l’Anglais, semble avoir décidé de sa vocation. Élevé par une mère pieuse, ses pensées se dirigèrent dès l’enfance vers la religion. Jeune, il porta dans l’étude cette âpre ardeur avec laquelle l’Anglais poursuit la chose qu’il a une fois choisie, au point de compromettre sa santé. Sa virginité d’âme était sauvage et sa pureté de mœurs violente. On jour, nous dit son biographe, alors qu’il était étudiant, sollicité au plaisir par une courtisane de la rue, il la conduisit dans sa chambre comme s’il consentait, et là, après l’avoir fait dépouiller de ses vêtemens, il la punit de son audace en la fouettant jusqu’au sang. Il y a là pour un Français, il faut bien l’avouer, une certaine intempérance de vertu et une certaine erreur de jugement ; tout autre était la méthode de notre Robert d’Arbrissel, qui s’introduisait chez les créatures égarées pour les ramener par de beaux discours pleins d’onction. Nous préférons la méthode du saint français ; mais, préférence à part, et en se plaçant sur le terrain de la psychologie, nous reconnaissons aisément dans cette virginale brutalité ce violent élément barbare qui a produit de si beaux éclats de passion excessive dans la poésie anglaise, et de si vigoureux caractères dans l’histoire civile de la Grande-Bretagne. A sa violence il joignait cette timidité circonspecte qui en est le correctif, et qui distingue également l’Anglais. On eut toutes les peines du monde à l’arracher à l’obscurité des humbles rangs de la condition religieuse pour l’élever au poste que lui méritaient son savoir et sa piété. Il redoutait les orages du siècle, disait-il, et l’avenir prouva que ses pressentimens n’étaient que trop fondés. Enfin Grégoire IX,