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dans quelle mesure il fallait l’entendre. Ce qui est vrai du monde en général n’est pas vrai du peuple particulier des chrétiens, rare élite, minorité choisie qui a toujours existé à côté de la société générale et qui a toujours identifié sa vie avec sa doctrine. Ces jeunes femmes aux élégantes toilettes, aux bandeaux bien tressés, ces hommes noblement drapés, c’est la société générale, les puissans et les mondains ; mais bien différens sont les vrais chrétiens, et, si vous voulez contempler leur fidèle image, regardez les figures des deux donataires, le comte et la comtesse de Rompre, agenouillés à quelque distance du groupe principal, le comte en vêtemens noirs sans recherche d’aucune sorte, la comtesse en robe collante, collerette blanche, coiffe de bonne femme, c’est la simplicité même. Et comme ils prient sérieusement, sincèrement, en toute humilité de cœur ! Comme leur attitude confesse l’infimité de la condition humaine et dit : Nous sommes petits et nous nous adressons à celui-là seul qui est grandi Nous sommes loin d’assurer que ce soit là l’idée qui a présidé à la composition de cette œuvre ; mais, comme elle résume avec une parfaite unité les sensations qui se sont succédé en nous pendant notre visite à Saint-Vorle, et qu’elle ne manque pas d’intérêt, nous la présentons à titre d’impression personnelle, sinon de jugement certain. Ce qui ne laisse aucun doute, c’est l’habileté de main de l’artiste ; telle de ces figures est une merveille d’exécution, et celles des donataires en particulier, pour la finesse du rendu, le sentiment exquis de la réalité, l’intimité familière, la bonhomie expressive, valent les meilleures créations de l’art flamand et hollandais.

A quelques pas derrière Saint-Vorle se dressent les murailles démantelées du château-fort. On se dirige vers une grille qui ouvre l’enceinte ; on entre, l’intérieur est un cimetière. Ainsi la ruine protège la ruine, les débris de l’histoire servent de clôture et de défense aux débris de l’humanité. D’ordinaire les fortes impressions naissent du contraste, ici l’impression naît d’une symétrie d’une originalité assez peu commune. On des tombeaux réclame une attention particulière, non pour la pompe, mais pour le nom de celui qu’elle recouvre. Marmont, duc de Raguse, rapporté de son long exil immérité, dort là depuis 1852, oublieux des injustices de l’opinion et des duretés du sort. A Dieu ne plaise que nous voulions rouvrir, aussi peu que ce soit, cet aigre procès si longtemps débattu sur la vie de Marmont ; nous abhorrons trop pour cela les accusations par hypothèses et les jugemens par suppositions, et ce sont des accusations et des jugemens de cette nature que la fatalité a voulu infliger à la renommée du duc de Raguse. Il a été très bien dit depuis longtemps qu’il y avait des momens où il était moins difficile de