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faire son devoir que de le connaître, et je croîs que Marmont lui-même a dit quelque chose de pareil. Il sera toujours dur pour un homme d’un grand cœur de se trouver placé dans cette incertitude ; mais le comble du malheur, c’est quand la fatalité répète plusieurs fois dans une même existence le concours de circonstances qui engendre cette situation déchirante, et ce fut le cas de Marmont. Par trois fois, par deux fois au moins, la fortune se plut à lui créer un devoir en désaccord avec ses principes, et des engagemens en désaccord avec sa raison. Cette tombe de Marmont m’a fait froid, car elle m’a frappé comme une continuation de l’injustice au sein de la mort. Si c’est une réparation comme on l’a dit, il faut avouer qu’elle n’a été faite qu’à demi ; cela ressemble à une rétractation faite des lèvres, mais non du cœur. Rien de plus morne que cet énorme cube qui pèse lourdement sur les restes de Marmont, sans autre ornement que les insignes du maréchalat. La seule chose remarquable de ce plus rechigné des monumens, c’est l’inscription, pleine de noblesse et de patriotisme ; nous avons le regret de ne l’avoir pas relevée, mais nous en avons bien retenu le sens, le voici en abrégé : « ici repose Marmont, duc de Raguse, maréchal de France, etc., dont le cœur resta toujours en France en quelque lieu que le sort ait jeté sa personne. » J’ai retrouvé cette même impression de froideur, ce même sentiment de réparation imparfaite sur l’agréable place circulaire qui s’ouvre en face de son château. Elle porte son nom, mais c’est là l’ombre d’un hommage dont les yeux cherchent vainement la réalité ; pourquoi sa statue ne s’élève-t-elle pas au milieu de cette place, qui se trouve précisément dessinée à merveille pour recevoir un monument de ce genre ?

Le château construit par Marmont est situé sur l’emplacement d’une ancienne résidence seigneuriale, dont il ne reste plus qu’une tour lourde et maussade, séparée de l’édifice et qui ressemble à un os gigantesque de mastodonte antédiluvien laissé au milieu de squelettes d’animaux de notre époque. C’est une demeure vaste plutôt que belle, mais dont la situation est des plus heureuses et le décor de la plus fraîche magnificence. Ce décor se compose d’un de ces beaux parcs qui semblent décidément avoir été le luxe préféré des maréchaux de l’empire. Celui de Marmont est, je crois, le plus étendu qui ait été possédé par aucun d’eux ; s’il n’a pas l’aspect seigneurial du parc de Davout à Savigny, la variété coquette et curieuse du parc d’Oudinot à Bar-le-Duc, il possède en revanche une physionomie rustique plus marquée. C’est moins un parc qu’un pan de campagne adjoint à une riche habitation. Ceux qui ont vu Rome comprendront le caractère qui le sépare des autres que nous avons nommés, en opposant dans leur souvenir la champêtre villa