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vues. On se querelle, on s’agite, on s’égare dans toutes les fantaisies, dans toutes les subtilités dissolvantes de l’esprit de parti, lorsqu’il faudrait se dire simplement et résolument qu’il y a des situations où il n’est plus permis de perdre du temps et de se détourner du but essentiel, où tout le monde est responsable de ce qu’on fait ou de ce qu’on ne fait pas, d’une démarche imprudente, d’une manifestation dangereuse, d’une diversion arbitraire, d’une discussion inutile. Ces jours derniers, le président de l’assemblée nationale, M. Grévy, ayant à conduire le débat le plus confus, disait avec un bon sens un peu grondeur et parfaitement juste : « Nous perdons tout notre temps en incidens, nous n’en finirons jamais… On incidente trop et sans utilité !. « Il y a quelques semaines, M. le président de la république de son côté disait à peu près aux membres de l’assemblée : « Vous avez votre responsabilité, la responsabilité d’un vote, d’une proposition plus ou moins bien conçue ; moi aussi, j’ai ma responsabilité, qui est bien plus grande, la responsabilité d’exécuter les lois que vous faites, de gouverner dans les conditions que vous créez, avec les moyens que vous me donnez. » Et M. Thiers avait raison aussi bien que M. Grévy.

La vérité de notre situation est dans ces deux mots, qui s’appliquent à tous les partis, à l’assemblée, quelquefois à la presse. On incidente trop, on n’a pas toujours un sentiment suffisant de cette responsabilité que M. le président de la république rappelait, et qui appartient à tous aujourd’hui. On multiplie les propositions sans se demander quelles en seront les conséquences, on lance étourdiment des articles de journal dont nos ennemis se servent pour embarrasser un peu plus nos relations avec des puissances qui sont nos alliées ; on se passe la fantaisie de manifestations de parti, d’élections qui peuvent n’être pas sans danger pour notre crédit, on se donne l’émotion de conflits de pouvoirs qui mettraient tout en suspens, s’ils étaient sérieux, et on semble oublier que tout cela ne fait pas nos affaires, que notre vraie force serait dans l’empire que nous saurions garder sur nous-mêmes, dans ce recueillement dont la Russie faisait autrefois une politique, dans la fermeté contenue et patiente de notre langage aussi bien que de notre action.

Il faut bien s’y résigner, il faut savoir entrer dans les nécessités de cette situation cruelle, se faire un esprit politique conforme aux circonstances, et la première condition est évidemment de ne point mettre perpétuellement en doute ce qui existe sous prétexte que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, parce qu’il peut s’élever des différends entre des nuances d’opinion, des partis, des pouvoirs associés à une même œuvre. Cette politique a sur toutes les autres cet avantage, qu’elle est encore la seule qu’on puisse suivre sérieusement, et que tout ce qu’on tenterait en dehors des conditions actuelles ne pourrait, que préparer à peu près infailliblement au pays de nouvelles