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celui-ci, de première source et d’un intérêt moral. Par plus d’un côté, la veille et l’avant-veille de 89 nous sont mal connues. L’ancien régime a pu être et a été, pendant un long temps, détestable ; par quelles vertus publiques et privées la France a-t-elle pourtant trouvé moyen de faire dans ces périodes mêmes de grandes choses ? Les fleuves ne remontent pas vers leurs sources, et il n’y a donc nul danger, il ne peut y avoir qu’un profit sérieux, outre le grave intérêt, à bien connaître les obstacles franchis et le chemin parcouru. Le règne de Louis XV a été marqué par de grandes fautes et par un remarquable essor en des voies diverses. Le règne de Louis XVI a été une période de rare bonne volonté et de généreux efforts ; est-ce uniquement la faute de cette vieille France, si tant de zèle a finalement abouti à une série de révolutions qui, après quatre-vingts ans, dure encore ?

Voici un volume qui serait une pièce intéressante de ce grand procès et désormais indispensable à qui voudra juger de l’état moral de l’ancienne société française. On a suffisamment parlé des vices d’alors, des mœurs légères, des scandales et des corruptions : voici des vertus ; voici un nouveau roman de l’amour dans le devoir, dans le mariage, roman réel, c’est-à dire emprunté à l’histoire, épisode authentique des mœurs du XVIIIe siècle. Cette publication est elle-même un hommage de famille. Les Souvenirs de la maréchale de Beauvau et les Mémoires du maréchal étaient restés inédits ; Mme Standish-Noailles, arrière petite-fille du maréchal, les a recueillis et mis en ordre ; ils paraissent aujourd’hui précédés d’une introduction qui a son prix. Mme Standish était femme de vive intelligence, de savoir et d’esprit. Il est intéressant de l’entendre parler avec une sympathie sincère, et dans un style singulièrement large et libre, de « ces doctrines de droit politique et social qui germaient dans l’esprit des peuples, » de « ces idées généreuses et sages alors, mais dont l’application précipitée faussa jusqu’à la perversion les véritables origines de la révolution française, et compromit la plus belle cause des temps modernes. » — Une main pieuse pouvait d’ailleurs prendre plaisir à produire au grand jour ces papiers de famille, car « Mme de Beauvau avait appartenu à ce groupe de femmes de haut esprit et de haut parage qui ont donné à la France un genre de supériorité incontesté en Europe, » et son union avec le maréchal, par la longue continuité d’une affection ardente et passionnée, avait donné un exemple rare dans tous les temps, particulièrement digne d’étonnement et de respect au temps dans lequel ils avaient vécu. « On demandait à la jeune princesse de Poix, fille du maréchal, mariée à dix-sept ans, spirituelle et jolie, de ne point lire de roman. — Défendez-moi donc, répondit-elle, de voir mon père et ma mère. » Ils lui étaient un roman vivant.

Ce n’est pas sans doute que M. de Beauvau ait été, tout jeune, un Caton, muni d’une sainte peur des belles aventures, et le roman paraît n’avoir commencé, au moins de sa part, qu’après un brillant