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exceptionnelle relativement à son temps, de manière toutefois à marquer d’autant mieux, avec tout le reste de son caractère, de quelle ardeur féconde, multiple et intempérante ce siècle, qui revit en elle, était lui-même inspiré.


A. GEFFROY.



M. de Silhouette, Bouret, et les derniers fermiers-généraux, études sur les financiers du dix-huitième siècle, par Pierre Clément. — Didier, 1872.


La lecture de ce volume a ravivé en nous les plus vifs, les plus sincères regrets, en nous faisant mieux sentir encore la perte de l’auteur. Nous n’avons pas à faire ici l’éloge de l’historien de Jacques Cœur, d’Enguerrand de Marigny, de Mme de Montespan, de l’abbesse de Fontevrault, du savant auquel on doit enfin la publication de la correspondance de Colbert. M. Pierre Clément était un écrivain érudit, soigneux et correct ; c’était un ami sûr et dévoué, ce que constatent avec reconnaissance les travailleurs qui recherchaient ses conseils et enviaient ses encouragemens. Il s’était créé une intéressante spécialité en publiant une série d’études sur les principaux personnages financiers du siècle passé, et il avait su donner à ses travaux un cachet savant et anecdotique qui en rendait la lecture profitable et agréable à tous.

Le volume que nous signalons, et qui a paru bien des mois après la mort de M. Clément, fournit la preuve de ces qualités : M. Pierre Clément y raconte à grands traits l’histoire financière du XVIIIe siècle presque tout entier mêlée aux biographies de Silhouette et de Bouret, et la destinée de ces opulens fermiers-généraux qui expièrent courageusement sur l’échafaud révolutionnaire le crime d’avoir été trop riches, tout en faisant fructifier, par leur habileté et par leur crédit, les finances de la France. Le 2Yme siècle servira longtemps encore de champ d’études, car, parmi bien des défaillances, comme le dit M. Clément, on y trouve toute sorte de sujets de curiosité et d’utiles renseignemens. L’intérêt qu’il excite s’accroîtra encore à mesure que, le tableau étant vu de plus loin, les faits réellement importans se détacheront mieux de l’ensemble.

Silhouette et Bouret sont certainement deux des figures les plus originales et les plus saillantes de cette période. L’un, appelé au gouvernement des. finances de son pays, y opéra quelques utiles réformes, mais vint se heurter à l’esprit de routine quand il voulut les étendre, et il n’a eu en définitive, « après tant d’espérances suivies de si promptes et si éclatantes déceptions, que le triste honneur de fournir à la langue un mot qui a immortalisé son nom, mais tout autrement qu’il ne l’avait rêvé ; » l’autre, hardi spéculateur, épicurien aimable, qui mourut misérablement ruiné après avoir, au compte de Voltaire, mangé plus de 42 millions de livres. Ces deux études font réellement honneur à leur auteur