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infériorité numérique et malgré la perte de vitesse de quelques-uns de leurs navires, la lutte était possible au début des hostilités ; le succès dépendait de la valeur professionnelle des officiers et des équipages. Nous n’avions de réellement prêts à Cherbourg que les trois bâtimens cuirassés de la division du nord ; à bord de ces frégates seulement, on eût pu trouver des équipages exercés, et là l’infériorité du calibre était notoire pour l’artillerie, la vitesse moyenne n’était pas supérieure à celle des Allemands. D’autres navires s’armaient, il est vrai, en toute hâte ; mais, quand le 24 juillet l’amiral Bouët-Willaumez faisait route de Cherbourg, il n’avait sous ses ordres qu’une flotte de sept cuirassés, et les frégates emportaient avec elles les ouvriers chargés de terminer les aménagemens intérieurs. Le Kœnig-Wilhelm, en attendant que pussent entrer en ligne le Rochambeau et l’Océan, n’avait dans notre escadre aucun équivalent ni comme épaisseur de blindage ni comme puissance d’artillerie. La flotte de l’amiral Fourichon était restée au mouillage d’Oran ; bien que le département de la marine crût peu à un acte d’audace de la part de nos ennemis, il avait dû céder aux demandes pressantes du ministère de la guerre. L’escadre allemande, quittant brusquement les eaux anglaises, pouvait franchir le détroit de Gibraltar et pendant quelques jours compromettre gravement l’existence des nombreux transports chargés de ramener nos troupes d’Algérie. L’envoi de notre flotte de la Méditerranée dans l’Océan rendait ce coup de main possible, facile même pour un ennemi entreprenant ; le ministère de la guerre devait prévoir cette éventualité et réclamer de la marine à cet égard une protection efficace.

Ainsi de tous les événemens de guerre qui peuvent surgir du choc de deux puissances maritimes, le plus naturel, le plus immédiat, celui d’une rencontre en haute mer de deux escadres armées et exercées depuis de longs mois, disparaissait par le fait du retour au port de la flotte allemande trois jours avant la déclaration des hostilités. Nous entrions dès lors dans les combinaisons, et de toutes les combinaisons la première, la seule qui frappât l’esprit non-seulement des gens compétens, mais de tout le pays, c’était le débarquement sur les côtes de la Baltique ou de la Mer du Nord d’un corps d’armée destiné à opérer une diversion sur les flancs de l’ennemi. Cette question de débarquement avait été à d’autres époques l’objet d’études sérieuses de la part du département de la marine. L’importance militaire de chaque port allemand avait été suivie jour par jour, la construction et l’armement des batteries qui s’élevaient dans les localités acquises à la confédération depuis la guerre de 1866 avaient été relevés avec soin ; des achats considérables de cartes de la Baltique et de la Mer du Nord avaient eu lieu lors de