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abri au moment de l’équinoxe et bientôt à l’approche de l’hiver. L’amiral de Gueydon et l’amiral Penhoët furent jusqu’au 2 décembre chargés de diriger ce service de croiseurs ; l’impossibilité d’expédier dans la Mer du Nord les navires destinés à ravitailler la flotte en combustible fit décider que ce ravitaillement aurait lieu à Dunkerque, où chaque division de l’escadre viendrait se reposer et faire son charbon pendant que l’autre continuerait le blocus. Telle fut jusqu’au 2 décembre la vie que menèrent nos marins, et, si aucun désastre n’est venu jeter un voile de deuil sur ces longs jours d’isolement et de fatigues, il faut en savoir gré à la sollicitude prudente des chefs. Les coups de vent du mois de novembre éprouvèrent fortement l’escadre, mais sans affaiblir le moral des équipages et sans faire subir à nos navires des avaries graves. Les cuirassés montrèrent même des qualités nautiques probablement supérieures à celles qu’on aurait osé attendre d’eux. Une seule frégate, la Surveillante, fut désemparée par la perte de son gouvernail ; elle fut remorquée jusqu’à Cherbourg, malgré des temps affreux, par la Revanche.


II

De toutes les opérations militaires qui peuvent être confiées à la marine, il en est une contre la tentation de laquelle on ne saurait trop mettre en garde l’élan guerrier du pays ; nous voulons parler de l’attaque à diriger par une escadre sur des forts ou des batteries. Si ces forts ou ces batteries ne masquent pas un arsenal important, s’ils n’abritent pas la flotte ennemie ou si la destruction de ces forts ne doit pas être suivie d’un débarquement, d’une occupation militaire, l’opération ne peut avoir qu’un résultat funeste. Une apparence de victoire, mais de victoire stérile, ne saurait compenser des pertes matérielles considérables ; il faut se rappeler ce qu’un seul de nos navires cuirassés a coûté de temps et d’argent, et ne se décider à en jouer l’existence qu’avec la certitude qu’un pareil sacrifice sera racheté par d’importantes conséquences. Un gouvernement est coupable de chercher à tromper l’opinion publique par quelque succès sanglant de ce genre, lorsque, faute d’un corps d’armée pour en affirmer le résultat, ce succès momentané ne peut aboutir qu’à un échec. De très petits pays seuls s’effraient suffisamment pour venir à composition devant la ruine d’une batterie ou la destruction d’une poudrière. Le 2 mai 1866, l’escadre espagnole avait fait taire les canons du Callao après un lutte vigoureusement engagée de part et d’autre, et le lendemain ses vaisseaux mutilés,