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Suisse. Partout se formaient ce qu’on appelait les bandes blanches, les bandes claires (helle, leichte Haufen), parce que ceux qui les composaient avaient adopté pour signe distinctif une croix blanche, tandis que les soldats de la ligue de Souabe portaient la croix rouge. Le soulier symbolique reparut aussi ; il était associé comme emblème par les insurgés au soc de charrue, au fléau à battre le blé et à la fourche à trois dents. Les bourgeois et les artisans des différentes villes se joignirent à la révolte. Il était venu de Nuremberg et d’Ulm des encouragemens et des secours pour les rebelles. Les villes qui étaient gouvernées par des princes ecclésiastiques, Salzbourg, Wurzbourg, Mayence, Mergentheim, Fulda, se montraient les plus ardentes, et dans différentes cités de la Westphalie et des bords du Rhin éclataient ou se perpétuaient les troubles dont il a été question plus haut. On ne pouvait, avec le peu de troupes disponibles, songer à poursuivre les premiers avantages remportés sur les paysans. Truchsess jugea donc prudent de conclure un armistice avec ceux qu’il venait de vaincre ; il fut signé le 22 avril.

Plus l’insurrection gagnait de terrain, plus elle s’éloignait du luthéranisme proprement dit pour faire alliance avec les partisans de la réforme avancée, dont les docteurs entretenaient par leurs discours l’agitation populaire. A Rothenbourg sur la Tauber, où la messe avait été abolie, les prêtres s’étaient vus chassés brutalement de l’autel : un crucifix avait été mutilé ; Drischel prêchait dans l’église métropolitaine contre l’empereur, les princes, les seigneurs, et proclamait une liberté qui n’était qu’une effroyable licence. Quelques prédicans se mirent ouvertement à la tête des paysans. De ce nombre étaient Schappler, ancien curé de Memmingen, Jean Eberlin, George Wicel. C’est au premier qu’on a même attribué la rédaction des douze articles, manifeste des paysans de la haute Souabe, qui fut certainement l’œuvre d’un des apôtres de la réforme. Toutefois les écrits que les prédicateurs évangéliques répandaient dans le peuple tendaient généralement à retenir les insurgés dans les bornes des réclamations raisonnables, Il y en eut pourtant qui firent des appels non déguisés à la guerre civile, et qui déclaraient que la croyance chrétienne ne reconnaît aucune autorité humaine. Si Carlstadt et Jacques Strauss, tout en soutenant les paysans, désapprouvèrent leurs excès, s’ils s’efforcèrent d’y mettre un terme, d’autres, qui se rapprochaient davantage des opinions de Münzer ou en avaient embrassé franchement la doctrine, poussaient à une lutte sauvage. Aussi le caractère que prit en diverses parties de l’Allemagne l’insurrection finit-il par offrir un triste contraste avec la modération apparente des douze articles.

Le pillage et la dévastation des couvens et des châteaux, par