Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/742

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

survenir. Or cette irrévocabilité artificielle que l’on a donnée à nos gouvernemens est une des causes de nos révolutions, car l’accord qui peut exister au début va toujours en diminuant à mesure que la même personne subsistant, les générations se modifient. Ce désaccord oblige le chef de l’état à fausser artificiellement l’opinion publique, ou bien, vaincu par elle, il perd toute autorité.

Il faut ajouter d’ailleurs que dans la république, si elle est adoptée, le parti républicain n’a pas lui-même plus que les autres le droit exclusif de gouverner. La république n’est pas sa chose, elle est celle du pays. Il aura sans doute le mérite d’avoir prévu et amené par ses efforts cette forme de gouvernement ; mais il faut qu’il la remette entre les mains de la nation pour en faire l’usage qu’elle jugera convenable. De deux choses l’une en effet, ou le pays ne veut pas de république, et de quel droit ce parti voudrait-il l’imposer ? ou le pays veut une république : dès lors la question étant résolue, le parti républicain comme tel n’a plus de raison d’être, il devient le parti démocratique ; or le parti démocratique n’est qu’une certaine opinion sur la manière de gouverner, et cette opinion, comme toutes les autres, reste soumise au jugement du souverain arbitre.

Le parti démocratique confond trop facilement ses intérêts avec ceux de la république, et paraît trop croire que le triomphe de celle-ci doit être son propre triomphe. C’est une erreur. Sans doute la démocratie bénéficiera de la république, cela est inévitable ; mais reste à savoir si les intérêts de la démocratie sont bien en sûreté entre les mains du parti qui porte son drapeau. Par exemple, le pays peut bien ne pas trouver dans ce parti l’habileté pratique, la connaissance des affaires, l’art de gouverner ; il peut y reconnaître des habitudes de violence incompatibles avec le bon ordre et le règne des lois ; il peut trouver encore qu’il demande trop de choses à la fois sans tenir compte de l’opportunité, ou encore qu’il a des principes qui, sous prétexte de démocratie, ne sont qu’un acheminement au despotisme, etc. Si le pays croyait tout cela, à tort ou à raison, il pourrait très légitimement, au nom de sa souveraineté, confier les intérêts de la république et de la démocratie à tel parti qui ne serait ni républicain ni démocrate. Ainsi le principe de la souveraineté nationale, tout en excluant le privilège monarchique, exclut en même temps le privilège républicain. Sans doute le parti démocratique peut être appelé aussi bien que les autres par la volonté nationale, et son exclusion systématique, demandée par quelques-uns, est insoutenable ; mais il est, comme tous, le serviteur et non le maître de cette volonté.

C’est ainsi que je me représente le souverain échappant à l’esclavage des partis, les appelant tous à sa barre, les jugeant tous,