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maniérées telles que les aiment les Italiens modernes, et je préfère à toute force la négresse en bronze et marbre mêlés du Milanais M. Calvi ; cette beauté africaine a du moins plus de naturel, de bonne humeur et même de véritable grâce. Que M. Mercié se garde avec soin des pastiches et des œuvres de pure imagination. S’il néglige trop souvent les David pour se vouer aux Dalilas, il perdra, comme son célèbre devancier, son talent noble et viril pour tomber dans l’affectation et dans la mollesse.

On ne peut pas parler légèrement du Spartacus de M. Barrias. Si je ne craignais que le mot ne fût pris en mauvaise part, je dirais que c’est une de ces œuvres ambitieuses qui commandent l’attention et même le respect. Le sujet tout seul annonce chez l’artiste l’intention de faire un grand effort et la volonté bien arrêtée de produire un chef-d’œuvre. On a figuré cent fois le serment d’Annibal, voué par son oncle Hamilcar à la haine du nom romain. Celui de Spartacus est bien plus tragique encore : c’est sur le cadavre de son père, esclave comme lui et mort sur la croix, que l’enfant jure une guerre éternelle à la société qui l’a fait périr d’un supplice infâme. M. Barrias paraît avoir été surtout frappé du contraste à tirer de ce rapprochement horrible entre le vieillard supplicié et l’enfant auquel il lègue sa vengeance. C’est dans les bras mêmes du cadavre attaché au gibet qu’il place le jeune Spartacus et qu’il lui fait jurer d’exercer de sauvages représailles. Cette idée hardie est, on ne saurait le contester, du plus grand effet. Le corps, fortement charpenté, fixé à la potence par deux grosses cordes qui meurtrissent ses membres noueux, s’affaisse lourdement, courbé sous son propre poids ; les genoux sont pliés en avant, le bras droit, également plié, s’étire dans ses liens ; la tête penche du côté gauche, où son poids l’entraîne, et le bras gauche pend par derrière, avec la main ouverte et raidie. Le jeune homme est debout, il a saisi cette main, et, comme pour se placer sous l’invocation du cadavre, il s’est mis sous son aile, entre le bras et la poitrine, et sa tête soutient presque celle de son père, qui, toute morte qu’elle est, semble s’appuyer sur lui avec amour. Il se tient droit, immobile, le corps raidi par la colère ; ses yeux, fixés droit devant lui, ne voient plus que ses pensées de vengeance ; son bras tendu se pose sur le genou du cadavre et tient un glaive nu. Rien n’adoucit l’antithèse brutale de cette faiblesse révoltée, transfigurée par la haine, et de cette puissante machine de chair et d’os lourdement affaissée par la mort et tordue par les dernières convulsions de l’agonie. Tout est combiné au contraire pour en exagérer l’effet : le torse, l’encolure, la tête calme et douloureuse du supplicié sont d’une facture violente et d’un style énergique qui fait songer à certaines statues de Michel-Ange ; les jambes, contournées et crispées par l’agonie, rappellent plutôt les mauvais