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où s’étaient rendus nombre de frères fugitifs, devint pour quelque temps une sorte de métropole de la secte. Cette ville le dut d’une part à la position centrale qu’elle occupait par rapport aux contrées où l’anabaptisme comptait le plus d’adhérens, de l’autre à la liberté d’opinions religieuses qu’y avaient introduite les interminables disputes des luthériens et des zwingliens, largement représentés dans la population. Aussi est-ce à Augsbourg que l’on trouve d’abord les plus infatigables et les plus influens promoteurs de la doctrine proscrite par la Suisse : Jacob Dachser, d’Ingolstadt, Sigmund Salminger, de Munich, tous deux anciens moines, prêcheurs éloquens, Jacob Gross, marchand fourreur de Strasbourg, qui avait été banni de cette ville, et le plus considérable de tous par sa fortune et son talent d’écrivain, Eitelhans Langenmantel, d’une famille patricienne de la cité souabe.

Toutefois l’hégémonie d’Augsbourg ne pouvait assurer entre les sectaires une unité doctrinale que contrariait l’initiative laissée à chaque pasteur. La divergence d’opinions naissait en outre de la difficulté qu’avaient à communiquer entre eux les groupes de fidèles, éloignés les uns des autres et contraints le plus souvent de dissimuler leur existence. Ainsi isolées, les communautés se faisaient à chacune sa règle et son enseignement évangélique. Certains sectaires se tenaient rigoureusement à la lettre de l’Écriture et en observaient les préceptes de la manière la plus étroite et la plus ridicule. Le Christ ayant dit à ses apôtres que, pour entrer dans le royaume des cieux, il fallait qu’ils se fissent semblables aux petits enfans, il y avait des anabaptistes qui en concluaient que les chrétiens devaient imiter de tout point l’enfance, en affectaient le naïf et imparfait langage, la façon d’agir et jusqu’aux amusemens puérils. D’autres, cherchant dans la Bible un sens mystérieux et surnaturel, s’imaginaient être inspirés de l’Esprit-Saint, entraient dans des extases, s’abîmaient dans une contemplation si vive que leur raison s’altérait. Il se produisait alors chez eux ces phénomènes d’un caractère tout névropathique qui reparurent chez les trembleurs des Cévennes, les quakers et les convulsionnaires de Saint-Médard. Ces crises déterminaient quelquefois des accès de véritable démence. Une femme anabaptiste s’imagina qu’elle était le Christ, que ses compagnes étaient les douze apôtres. Un fanatique, Thoman Schugger, avertit son frère qu’il avait reçu de Dieu l’ordre de lui couper la tête, et celui-ci tendit la gorge avec résignation pour obéir à la volonté du Père céleste. Sous prétexte de mortifier leur chair et d’en dompter l’aiguillon, d’autres sectaires se livraient sans pudeur et devant tous aux actes les plus impudiques et les plus révoltans. Les frères et les sœurs, vivant dans une réelle promiscuité, refu-