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saient d’accepter le lien conjugal quand il les avait unis à un infidèle, et convolaient à de nouveaux hymens avec les justes. La préoccupation constante de la fin prochaine du monde mentionnée dans les prophéties de Hans Hut et de Bader, son continuateur, poussait aussi les sectaires aux plus bizarres résolutions, et suscitait en eux des sentimens qui s’éloignaient absolument de ceux que Grebel et son école avaient préconisés. Hut affirma que cette catastrophe aurait lieu le jour de la Pentecôte 1528. Il disait qu’aux approches de l’événement le Sauveur assemblerait autour de lui le petit nombre de justes existant sur la terre, et que le reste des humains serait exterminé. Les frères tenaient en conséquence tous ceux qui n’appartenaient pas à leur communion comme voués à la destruction. De là l’horreur de beaucoup de sectaires pour les hommes étrangers à leur foi, les idées de haine et de vengeance qu’ils nourrissaient contre la société. Ce n’est pas impunément qu’on exalte, fût-ce même seulement dans l’avenir ou le passé, les moyens violens et l’emploi de la terreur ; ceux qui se laissent persuader sont bientôt tentés d’appliquer dans le présent ce qu’on leur dépeint comme ayant été ou pouvant devenir légitime.

En vue de remédier à un tel débordement d’extravagances, les plus judicieux et les plus modérés de la secte firent accepter l’idée de la réunion d’un synode. À Nikolsburg, on avait eu déjà recours à une conférence générale pour écarter Hut, qui était venu prêcher dans la ville et dont les prophéties bouleversaient les têtes. Une première assemblée de ce genre se tint en février 1527 à Schleitheim, sur la frontière du canton de Schaffouse. Peu après, on convoqua un synode à Augsbourg, où fut agitée la question du don prophétique. C’était le principal sujet de trouble dans les communautés. Hut était mort, mais la non-réalisation de ses folles prédictions n’avait pas désabusé les esprits. Bader annonçait le millénium, et répétait partout qu’une ruine totale de l’ordre présent devait précéder la rénovation universelle. Ses prosélytes, aussi imprévoyans que les révolutionnaires de tous les âges, sans s’entendre sur ce que pouvait être cette rénovation, ne songeaient qu’à tout abattre. Le synode d’Augsbourg mit des bornes aux prétentions qu’avait chacun d’imposer ses révélations. Bader fut condamné. Il se retira de l’assemblée plein de colère, anathématisant ses frères et les accusant d’être possédés non de l’esprit de Dieu, mais de celui du démon. Quelques schismes se produisirent. En Moravie, la désunion continua ; les querelles intestines avaient souvent les causes les plus puériles. À Nikolsburg, une partie des sectaires, entendant littéralement les paroles du Christ sur l’emploi du glaive, condamnaient absolument le port de cette arme et voulaient que, pour se défendre, on ne re-