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Saint-Barthélémy, ses gaîtés sinistres dans les processions de la ligue et son entrain d’anarchie dans la journée des barricades. Si la force d’exécution avait secondé la force de sentiment, cette fresque pourrait compter à juste titre pour une des œuvres les plus importantes que nous eût laissées la renaissance française.

J’ai dit en commençant ce chapitre que les deux châteaux de Tanlay et d’Ancy avaient une histoire analogue. En effet, bâti vers le milieu du XVIe siècle par un des comtes de la grande maison de Clermont-Tonnerre, Ancy fut acquis en même temps que la seigneurie de Tonnerre, en 1683, par Louvois qui était alors au faîte de sa puissance, et il est resté aux héritiers de son nom jusqu’en 1846, époque où le représentant actuel de la maison de Clermont est rentré en possession de cet héritage de sa famille. Les Louvois ont donc possédé ce château pendant plus de cent soixante ans, mais, pas plus que les Phélippeaux à Tanlay, ils n’ont laissé vestige d’eux-mêmes. Le seul souvenir qui en reste se trouve dans la petite église de cette grosse bourgade; c’est un mauvais tableau, encore inspiré par nos discordes civiles, qui représente Mme de Louvois débarquant sur la terre de France au lendemain des orages de la terreur, et élevant son fils dans ses bras pour le placer sous la protection de Dieu. Je ne crois pas avoir jamais vu rien de plus exécrable, à l’exception toutefois d’un tableau de même nature, don des parens de l’illustre Fénelon au sanctuaire de Rocamadour, et représentant le père et la mère du futur auteur de Télémaque vouant à Dieu leur fils nouveau-né. Et cependant, en dépit de sa détestable facture, on ne voit pas sans attendrissement ce témoignage des souffrances de la génération passée. Est-ce par reconnaissance envers la clémence divine que cette femme, à peine déposée sur le rivage, élève son fils dans ses bras? Remercie-t-elle Dieu que la barque de hasard qui l’a transportée ait échappé au naufrage et aux écueils? Non, le sentiment qui l’anime est un sentiment de crainte bien plus que de reconnaissance. Le vrai danger n’est pas celui qu’elle vient d’affronter sur la mer houleuse, c’est celui qu’elle va braver sur cette terre, où, pour parler comme le poète latin, l’audacieuse race de Japhet se rue encore à toute sorte de crimes interdits, et qui abonde en périls plus redoutables que les infâmes rochers acrocérauniens. Voilà ce que dit dans son mauvais langage cette laide croûte, dont le sentiment vaut mieux que l’expression. Ce tableau est détestable, d’accord; l’est-il beaucoup plus que la prose emphatique et bourrée d’interjections sentimentales dont se servirent pour raconter leurs douleurs tant de contemporains du drame de la révolution, et sous laquelle nous savons cependant retrouver sans grand effort l’émotion naïve? Après