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avec les toiles de Philippe de Champagne; même sécheresse, même aspect terne, même tristesse de composition, tout, sauf bien entendu le feu caché du génie[1]; mais pourquoi donc, parmi tant de sujets religieux et légendaires, avoir choisi sans exception aucune ceux qui se rapportent aux pères du désert? C’est que la mode est pour l’heure aux sujets monastiques, et que cette mode a déterminé le choix de l’artiste ou le désir du maître du logis. Ce Philippe de Champagne que nous venons de nommer n’a-t-il pas consacré toute une interminable série de petites toiles à l’histoire de saint Benoît? Eustache Lesueur n’a-t-il pas composé une série analogue sur l’histoire de saint Bruno? Arnaud d’Andilly a traduit les Vies des pères du désert, et ce livre a obtenu un succès de lecture même auprès des lecteurs mondains. Faut-il d’ailleurs s’étonner de cette vogue qu’obtiennent les solitaires? À ce moment même, des solitaires célèbres font l’entretien de la ville et de la cour, et leur nom retentit dans la catholicité tout entière. Port-Royal est dans tout l’éclat de sa gloire, et les actes de ses pieux reclus reportent les imaginations vers l’héroïsme chrétien des premiers siècles. C’est ainsi qu’en parcourant du regard les décorations de ce beau château, le promeneur embrasse en se jouant les modes, les engouemens et les révolutions de l’imagination française pendant plus d’un long siècle.

Le mobilier et les souvenirs d’Ancy ayant été dispersés à diverses reprises, et lors du transfert de la propriété aux Louvois, et lors de la révolution, il reste en dehors de ces décorations peu de choses anciennes qui soient dignes de mention. Nous devons faire une exception cependant pour deux portraits de deux membres de la famille de Clermont-Tonnerre, prélats l’un et l’autre. Le premier, François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, s’est acquis une réputation des plus singulières. C’est ce prélat qui ne désignait jamais le pape autrement que par le titre de monsieur de Rome, indiquant ainsi qu’il le considérait simplement comme le premier gentilhomme de la chrétienté, de même que certains membres de la noblesse considéraient le roi comme le premier gentilhomme de son royaume. Ses ennemis prétendaient qu’il vivait dans l’unique contemplation de lui-même et de la gloire de la maison à laquelle il appartenait, et que cette préoccupation exclusive nuisait à la justesse de son esprit en lui montrant toutes choses à la clarté de sa propre personne. Leur malice fut longtemps inoffensive, mais un jour elle rencontra l’occasion d’éclater. Nommé membre de l’A-

  1. Une de ces fresques, qui représente, je crois, saint Evagre, relève cependant d’un art bien plus éclatant, car elle est une imitation directe et presque une copie des poseurs d’or de Quentin Matsys et des docteurs grotesques de Jordaens.